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Photo de Roger Martin du GardRoger Martin du Gard

(1881-1958)

Dossier

Bibliographie

Ouvrages cit茅s

Cette bibliographie contient les correspondances de Roger Martin du Gard et son journal, 茅pluch茅 en d茅tail afin d'en relever les plus importants passages du point de vue de l'art du roman.

Correspondances :

Correspondance Andr茅 Gide - Roger Martin du Gard (1913-1934), Paris, Gallimard, t. 1, 1968.

Correspondance Andr茅 Gide - Roger Martin du Gard (1935-1951), Paris, Gallimard, t. 2, 1968.

T茅moins d'un temps troubl茅 : Roger Martin du Gard, Georges Duhamel, correspondance 1919-1958, pr茅sent茅 par Arlette Lefay, Paris, Lettres Modernes, 1987.

Journal :

Journal (1892-1919), Paris, Gallimard, t. 1, 1993.

Journal (1919-1936), Paris, Gallimard, t. 2, 1993.

Journal (1937-1949), Paris, Gallimard, t. 3, 1993.

Citations

Correspondance Andr茅 Gide - Roger Martin du Gard (1913-1934), Paris, Gallimard, t. 1, 1968.

芦 Je voudrais tant rev锚tir mes cr茅ations d'une vie intense! d'une telle vie, que, devant elles, le lecteur soit exactement (ou presque鈥) comme il est devant听une r茅alit茅. Je voudrais que mon Barois soit assez vivant pour qu'on l'accepte tel qu'il est, comme un fait, comme une 茅vidence 鈥 et sans en discuter la fabrication, comme s'il s'agissait d'une marionnette ! 禄 (6 janvier 1914, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 130)

芦 Je n'oublie pas ce que vous nous avez dit de l'objectivit茅. Je vous l'avais entendu dire d茅j脿. Cela vous obs猫de. Comme moi. Comme nous tous. C'est le don magique supr锚me, l'enfantement total, la cr茅ation toute pure. C'est听le but. Vous n'en avez jamais approch茅 aussi pr猫s que dans la premi猫re partie de cette听Symphonie pastorale. 禄 (28 mai 1919, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 141-142)

芦 Sit么t apr猫s vous avoir quitt茅, j'aurais voulu vous 茅crire et m'expliquer avec vous sur un point o霉 votre jugement se pouvait m茅prendre 鈥 je veux dire ces longs intervalles de jach猫re, o霉, loin du travail, je me laisse emporter par la vie鈥 Oui, je sais ! j'aurais pu produire beaucoup davantage 鈥 et parfois cette id茅e me poursuit comme un remords; puis je me dis que, pour 锚tre plus nombreux mes livre eussent 茅t茅 moins bons. Je me suis toujours inqui茅t茅 de mettre de la distance, de l'un 脿 l'autre et quelque sorte d'a茅ration. J'ai l'horreur du fatras et tiens que la plupart des litt茅rateurs 茅criraient mieux s'ils avaient souci de moins 茅crire. Un peu de patience et de d茅lai 鈥 et tomberait de lui-m锚me tout l'encombrement qui rendra caduque leur oeuvre. 禄 (17 juillet 1920, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 151-152)

芦 Oui, il est indispensable de vivre longuement entre chaque oeuvre; un livre, comme nous l'entendons, doit exprimer toute une p茅riode de la vie de son auteur; il doit avoir la couleur de cette p茅riode; et ce n'est qu'apr猫s avoir 茅volu茅 et chang茅 de couleur, que l'on sent 脿 nouveau le besoin de dire ces choses nouvelles. Non, vraiment, je n'ai jamais pens茅 que vous eussiez d没 produire davantage. Mais produire d'autres oeuvres, oui. Je suis, de rencontre en rencontre, plus frapp茅 chaque fois de ce que vous 锚tes plus riche que votre oeuvre. 摆鈥 J'ai mani茅, r茅cemment, tout ce que je poss猫de de vous. Cela m'a paru pauvre, maintenant que je vous entrevois un peu, maintenant que je vous entrevois un peu. Loin de souhaiter que vous 茅criviez davantage, je souhaiterais plut么t vous voir 茅crire moins, moins souvent, moins de ces livres successifs, diff茅rents, mais fragmentaires, restreints, sp茅ciaux. Chacun de vos livres exprime, avec un art infini (qui nous fait p芒lir d'envie), un petit coin de vie; et sur ce point localis茅, il ne semble gu猫re que l'on puisse aller plus profond. Mais aucun n'exprime la vie, je ne dis pas sottement dans sa totalit茅 (je sais bien!), mais la vie dans sa richesse, dans sa magnificence, dans sa complexit茅. Le jour o霉 vous 茅crirez l'oeuvre large et听panoramique听que j'attends de vous (que vous m'avez parfois sembl茅 attendre vous-m锚me), tout ce que vous avez 茅crit jusque-l脿 para卯tra une s茅rie d'茅tudes pr茅paratoires, 芒prement consciencieuses, fr茅missantes de g茅nie, mais de g茅nie contenu, volontairement limit茅es, des 茅tudes parfaites, mais des 茅tudes, enfin. 摆鈥 Si vous 茅tiez une fois entr茅 dans un vaste sujet presque sans limites, o霉 tout ce qui vous sollicite pourrait 茅galement trouver place; o霉 vous ne vous sentiriez pas limit茅, ni dans le ton, ni dans le nombre des personnages et des 茅pisodes; mais o霉, bien au contraire, la vari茅t茅, l'abondance des mati猫res, ne seraient qu'un enrichissement de l'oeuvre; 鈥 si, au lieu d'avoir entrepris le r茅cit d'une petite histoire, qui vous lasse d猫s que les traits essentiels en sont bien dessin茅s, vous vous trouviez un jour dans un bel enchev锚trement d'histoires, complexe comme la vie; qui sait si vous auriez les m锚mes raisons d'essoufflement et de d茅faillance? Qui sait si vous n'茅prouveriez pas, au contraire, une impression de rebondissement successif, et un entrain sans cesse renouvel茅, que vous n'avez jamais connu.
Voyez ce que votre听顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈听a fait de听L'Idiot. Ne vous f芒chez pas de ce que je vais dire. Vous avez pourtant en vous tout ce qu'il faut pour 茅crire un livre comme celui-l脿. Cependant, si je ne songe qu'脿 ce que vous avez 茅crit jusqu'脿 pr茅sent, il me semble que vous auriez proc茅d茅 autrement. Petitement. Vous auriez 茅crit, en un court volume, net et d茅pouill茅, le balancement de Muichkine entre Nastasia et Agla茅; et toute la lumi猫re serait sur le prince seul. Puis vous auriez fait, en un autre petit volume, l'histoire des Epantchine, avec le vieux g茅n茅ral et ses filles en second plan, toute la lumi猫re portant sur l'extraordinaire vieille g茅n茅rale 脡lisabeth. Et un peu plus tard, nous aurions eu l'茅tude du condamn茅 脿 mort, l'immoraliste Hippolyte et son suicide manqu茅. Etc鈥 禄 (22 juillet 1920, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 153-155)

[脌 propos de听Coryphon] 芦 Pour moi, il n'y a qu'une fa莽on d'aborder ces questions : c'est en peignant la passion avec une telle sinc茅rit茅, un tel accent de 惫茅谤颈迟茅, une si exacte chaleur, qu'elle s'impose comme une r茅alit茅. Il ne s'agit ni d'expliquer ; encore moins de d茅fendre. (Selon moi.) Cela n'a aucun int茅r锚t ; cela n'a qu'un int茅r锚t plus ou moins personnel, particulier, mesquin, 茅ph茅m猫re ; c'est se laisser aveugler par l'individuel. La critique n'a que faire ici. Faites de votre passion une oeuvre d'art, 茅mouvante et profonde, atteignez le troublant probl猫me au coeur m锚me des faits, des sentiments ; allez au fond du fond chercher la r茅alit茅, et amenez-la 脿 la surface, telle qu'elle est, complexe, contradictoire, d茅lirante, sans vous pr茅occuper de contingences ; et vous aurez r茅alis茅, par la beaut茅 et par la 惫茅谤颈迟茅 seules, tous les buts adjacents que vous pensez atteindre ing茅nieusement. Trop d'intentions听dans tout cela. Et l'oeuvre ainsi prise se retourne presque contre vous. Utilisez les ressources infinies de votre art 脿 pr茅senter le r茅el en son int茅grit茅, g茅n茅reusement, 辫补蝉蝉颈辞苍苍茅尘别苍迟; c'est par la vie intense dont vos personnages seront rayonnants, que vous l茅gitimerez, mieux que par vos r茅ticentes argumentations, ce que vous avez, 鈥 脿 tort ou 脿 raison, peu importe (peu m'importe) 鈥 un si vif d茅sir de l茅gitimer. En tout cas, je vous assure, dans cet ordre de choses o霉 tout est 茅motion passionn茅e, et drame, la chaleur et l'abandon total 脿 votre sinc茅rit茅 peuvent seuls cr茅er de la beaut茅. C'est un miracle de vie qu'il faut r茅aliser; ou bien se taire, et parler d'autre chose. 禄 (7 octobre 1920, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 157)

芦 J'ai trouv茅, dans ce m锚me num茅ro des听脡crits nouveaux, ce mot sur Baudelaire, qui m'a frapp茅 : 鈥淐hez lui, il faut entendre comme synonymes les deux mots d'art et d'artifice.鈥 Vous souriez, nous voici revenus 脿 cette question de plus ou moins d'鈥渁rt鈥. ( 鈥淐e n'est peut-锚tre pas un artiste鈥︹ ) Je crois tout de m锚me bon d'attirer votre attention l脿-dessus, au moment o霉 commencent 脿 s'enchev锚trer dans votre esprit les fils des听Faux-Monnayeurs. Vous me direz : 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈. Non. On peut pas dire que 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 soit 鈥渇icelle鈥. Les prodigieuses habilet茅s, (qui vous arr锚tent et vous font vous 茅crier : 鈥淐'est 茅迟辞苍苍补苍迟 !鈥 mot significatif aussi !鈥) semblent toujours spontan茅es : c'est 脿 son insu, semble-t-il, que son g茅nie combine ces savants d茅tours, ces d茅routants renversements. Sa volont茅 semble hors du jeu. On vous sent toujours terriblement conscient de vos adresses : ne vous 鈥渁musent-elles鈥 pas, pour elles-m锚mes ? On dirait, bien souvent, que vous n'锚tes pas pris par votre sujet, qu'il n'est pas la grande affaire du moment, et que vos exercices acrobatiques vous captivent bien davantage. 禄 (17 juillet 1921, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 167)

芦 J'ai des doutes terribles sur ce premier volume des听Thibault; au milieu des relents de Paris, il me semble par trop 锚tre 鈥渟ans odeur鈥 ! 禄 (8 octobre 1921, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 176)

[脌 propos des听Faux-Monnayeurs] 芦 脌 distance, la qualit茅 de tout ce qui est sc猫ne et dialogue, dans ce que vous m'avez lu, dans ce que vous m'avez racont茅 de la suite, a une telle avance sur le reste, est d'un Gide tellement nouveau et pour la plupart inattendu, que je me demande s'il faut 茅carter sans retour l'id茅e d'un roman en sc猫nes, d'un film dialogu茅. Je constate que, si vous preniez cette d茅cision, rien de ce qui tomberait des premi猫res 40 pages ne serait vraiment 脿 regretter. Je me demande si, au point extraordinaire de renouvellement que vous avez atteint, cette r茅solution 鈥 un peu th茅orique, 茅videmment, 鈥 ne vous serait pas momentan茅ment utile pour vous servir de parapet infranchissable, pour vous maintenir en pleine cr茅ation directe, pour vous emp锚cher de retomber avec des retours de complaisance dans les subtilit茅s litt茅raires que tout un glorieux pass茅 vous pousse 脿 introduire dans votre nouveau livre. 禄 (16 d茅cembre 1921, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 177)

芦 摆鈥 ceci m'a prouv茅 une fois de plus la difficult茅 qu'a (et que doit avoir) le vrai romancier 鈥 et je dirais m锚me, avec Keats, le vrai po猫te 鈥 de parler en un nom propre et d'exprimer听ses听辞辫颈苍颈辞苍蝉,听ses听pens茅es. Et m'a prouv茅 du m锚me coup que j'茅tais un fieff茅 romancier (fieff茅 po猫te serait mieux). D茅cid茅ment, les 鈥減ens茅es鈥 ne m'int茅ressent qu'en fonction des personnages qui les expriment ; si je ne les ai pas toutes, c'est que je n'en ai pas. 禄听(7 octobre 1922, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 193)

芦 Le r么le du choeur ? Hum鈥 C'est 脿 voir. Libre 脿 vous. Moi je sais que je rate tout ce qui n'est pas sc猫ne, dialogue direct ; 脿 plus forte raison ce qui serait commentaire. Et puis c'est une pr茅occupation qui est d'ordre 鈥渙euvre d'art鈥. Et vous aviez promis, pour une fois d'oublier ces pr茅occupations-l脿. Je pense aux听Caves; et que les meilleures parties sont justement celles o霉 l'auteur semble bien totalement se soustraire 脿 l'oeuvre, et laisser agir Lafcadio. Tant et si bien que jusqu'脿 nouvel ordre, je ne suis pas convaincu. Admirez听Middlemarch, mais ne recommencez pas les听F.M.听! 禄 (1er mars 1923, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 213)

[脌 propos des听Faux-Monnayeurs] 芦 Quand une sc猫ne est 茅crite, il n'y a jamais qu'un personnage qui a retenu l'attention principale de l'auteur; il faut alors tourner son projecteur sur un second personnage, et refaire le m锚me travail; puis sur un troisi猫me; et puis fondre le tout en polissant et en repolissant pour qu'on ne voie pas l'ajustage; quand le premier jet est bien venu, qu'il a son mouvement, ce mouvement subsiste sous toutes ces retouches. Comme un bois, dont la ligne est fortement dessin茅e, ne perd rien 脿 锚tre travaill茅 par l'茅b茅niste, moulur茅, ponc茅. Est-ce que vous ne croyez pas que j'ai raison ? 禄 (7 juin 1925, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 267)

芦 Si nous quittons la question d'茅toffe pour nous occuper de la fa莽on, les reproches que vous semblez pr锚t 脿 vous faire aujourd'hui sont ceux-m锚mes que je fais 脿 Tolsto茂, vous le savez; et alors c'est vous qui protestez contre mes reproches. Cette fa莽on de toujours peindre directement et de se mettre toujours bien en face de ce que l'on veut peindre ne permet aucun jeu de lumi猫re frisante, ni beaucoup de collaboration du lecteur; le contour est trac茅 de telle sorte que vous n'en laissez rien 脿 deviner. Enfin vous-m锚me vous vous y prenez de mani猫re 脿 ne jamais vous laisser surprendre par vos personnages; il n'y a rien en eux que vous ne sachiez y avoir mis et dont vous n'ayez 鈥渇ait le tour鈥. Vous serez lou茅 pour cela m锚me; cette fa莽on de peindre est v么tre et vous y atteignez la ma卯trise. Ingres n'a pas 脿 souhaiter les qualit茅s d'un Rembrandt. 摆鈥
Disons encore ceci pourtant : si diff茅rents que puissent 锚tre vos lecteurs, vous ne leur fournissez pas de quoi s'茅mouvoir de mani猫res tr猫s diverses : ils peuvent s'茅mouvoir plus ou moins, aimer plus ou moins Jacques, Antoine et Daniel 鈥 ou vous-m锚me; mais s'ils aiment et se laissent 茅mouvoir ce sera toujours pour les m锚mes raisons ; l'on ne peut diff茅rer d'avis, mais seulement de temp茅rature. Comme vous montrer tout, chacun y voit la m锚me chose, et la voit toute du premier coup. Vos personnages ne pr锚tent pas aux interpr茅tations ou opinions diverses鈥 comme fait la r茅alit茅. 禄 (22 septembre 1928, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 352-353)

芦 Cher ami, je ne comprends, ni par cons茅quent n'approuve (car je ne peux approuver ce que je ne comprends pas) cette peur que vous dites de 鈥渃茅der 脿 la tentation de l'茅迟辞苍苍补苍迟, du听tr猫s curieux.鈥 Il est certes tr猫s dangereux de courir apr猫s ; mais s'il n'est pas artificiel, s'il vient tout spontan茅ment 脿 votre esprit, pourquoi fuir ? Ces indications insolites, ces traits 茅tranges que vous vous refusez de tracer, sont peut-锚tre ceux qui, demain, feront le plus grand int茅r锚t de vos livres. 摆鈥
Vous savez que j'ai le plus grand amour du banal, de la norme, de l'ordinaire et que je cherche partout la loi ; mais je crois qu'il y a un ab卯me entre le vrai banal, le v茅ritable ordinaire, et ce que le vulgaire imagine tel. Le banal, que j'ex猫cre, c'est le banal de convention. Le banal que je m'efforce d'atteindre, c'est tel banal m茅connu qui surprenne 鈥 et ce n'est point du tout pour surprendre que je le recherche, mais c'est parce que ce banal est inconnu qu'il surprend. C'est celui-l脿 que tout artiste v茅ritable doit s'efforcer d'atteindre. 禄 (28 septembre 1928, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 354)

芦 Eh oui, cher ami, vous devez bien avoir raison, mais cette pente de l'鈥溍┏俅遣圆圆共猿兮, est si glissante ! Je sens si bien le danger ! Avec cette facult茅 que j'ai de donner souvent l'impression de la vie r茅elle, je sais fort bien que je pourrais placer mes personnages dans les situations les plus insolites, les plus intentionnellement inattendues, et leur conf茅rer une telle vraisemblance, une telle 茅vidence, qu'on serait, devant leurs 茅tranget茅s, comme devant d'indiscutables r茅alit茅s. L'arme que j'ai entre les doigts me rend prudent. 摆鈥
Mais ce n'est pas 鈥減ar rapport 脿 la psychologie courante鈥, que je me place, lorsque j'茅carte de mes livres les tentations d'茅tranget茅s. C'est par rapport 脿 la vie courante. Et c'est fort diff茅rent. Mon ambition est de cr茅er des personnages d'un 尘辞诲猫濒别 courant, non des exceptions. 摆鈥
En r茅alit茅, si je priais Dieu, je ne lui demanderais pas le don de 鈥渟urprendre鈥 mes lecteurs par l'inattendu de mes inventions psychologiques, mais de p茅n茅trer si avant dans l'芒me听courante听que j'y puisse听faire des d茅couvertes听; non pas donner au lecteur le sentiment de l'inattendu, mais le sentiment, au contraire, de toucher enfin le secr猫tement attendu; ce听qu'il pressentait. 禄 (30 septembre 1928, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 355-356)

芦 Mais, cher ami, s'il est absurde 鈥 et s'il serait particuli猫rement absurde pour听vous听鈥 de chercher le bizarre, le surprenant, il est peut-锚tre plus absurde encore de le fuir 脿 tout prix, de le repousser lorsqu'il vient 脿 vous naturellement et de vous cantonner artificiellement 脿 ce que vous consid茅rez comme le plus coutumier, le plus banal. Et parfois je crains que vous n'en soyez un peu l脿. Pour moi, o霉 que je regarde dans la vie je ne vois que du surprenant, sit么t que le regard passe outre la cro没te Henry Monnier, o霉 l'on s'en tient d'ordinaire. Ce qui me fait croire que, sans l'oeil y mette du sien, banalit茅 ou 茅tranget茅, (ennui, 茅coeurement ou surprise) est dans le regard bien plus que dans la chose regard茅e. Et c'est bien ce que vous exprimez aussi lorsque vous m'茅crivez que c'est en profondeur que vous pr茅tendez 鈥渇aire des d茅couvertes鈥. Parfait. Mais faites-les.
摆鈥
Jamais une oeuvre n'a trouv茅 ses raisons de survie dans la banalit茅 (et je prends ce mot dans son acception la meilleure et la plus haute). Songez 脿 Shakespeare, 鈥 et que la plus universellement connue de ses figures dramatiques est aussi bien la plus bizarre, la plus inexplicable, la plus d茅concertante, etc. etc. Je veux dire Hamlet. 禄 (2 octobre 1928, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 357-358)

芦 Quand 脿 vous, je crois que vous avez compl猫tement raison, et pertinemment, quand vous听dissertez听sur l'鈥溍﹖range鈥 et sur le 鈥渂anal鈥. Mais,听dans la pratique, dans l'usage que vous avez fait de l'鈥溍┏俅遣圆圆共猿兮, il y aurait peut-锚tre bien quelques r茅serves 脿 faire ; et si vous avez, je crois, raison de me reprocher mon attitude extr锚me et ma m茅fiance exag茅r茅e pour cet 鈥溍┏俅遣圆圆共猿兮, je suis convaincue que l'on vous reprochera un peu, de l'avoir recherch茅 avec trop de complaisance dans votre oeuvre. C'est la juste mesure qui est difficile 脿 atteindre et 脿 garder. 禄 (3 octobre 1928, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 358-359)

[ Au sujet de听Robert听鈥 Suppl茅ment 脿听L'脡cole des femmes听de Gide] 芦 Ce journal de Robert, 茅crit en style gidien 摆鈥 鈥 tout 莽a est si nettement du听jeu, un jeu litt茅raire et psychologique, que moi, lecteur de bonne foi, lecteur d'une tr猫s consentante cr茅dibilit茅, je ne parviens pas 脿 lire un tel livre autrement que du bout des yeux, si je puis dire, de la pointe d'un regard 补尘耻蝉茅, sans jamais m'abandonner, sans jamais me laisser toucher 脿 fond. Il faut vraiment toute l'importance que vous avez aujourd'hui pour que ce livre puisse 锚tre un 茅v茅nement dans la production litt茅raire de la saison. Les id茅es de choix qui s'y peuvent trouver, on ne peut s'emp锚cher de songer que vous auriez pu les dicter en quelques heures, sans rien perdre d'important, et en dehors de toute cette un peu encombrante fabulation. 摆鈥 Pour un simple romancier (comme moi) 鈥 je veux dire pour un romancier qui n'est que cela, qui ne saurait pr茅tendre 脿 plus 鈥 la fabulation, le d茅cor, la mise en mouvement et le rapport des 肠补谤补肠迟猫谤别蝉, tout ce carambolage et ces peintures, sont d'une importance extr锚me, ne se pourraient supprimer, touchent 脿 l'essence m锚me de l'oeuvre qui ne se pourrait pas concevoir hors de ce cadre et de cette vie mat茅rielle. Mais, pour vous, 脿 quoi bon condescendre 脿 ce jeu banal de l'objectivit茅 ? 禄 (6 f茅vrier 1930, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 388-389)

芦 Besoin d'ajouter un petit post-scriptum 脿 ma lettre d'hier, car une phrase de vous me chiffonne l'esprit : 鈥湺俅遣醭俅敲鸨共醢炀 ne peut nous enseigner que des trucs.鈥 摆鈥 Je n'ai rien dit au moment m锚me 鈥 ni depuis, mais vous ne pouvez imaginer combien ces quelques mots m'ont tourment茅 depuis lors; jusqu'脿 me persuader (avec quelque injustice 茅videmment, mais une injustice en appelle une autre, et l'injustice de votre jugement est, certes, ici, beaucoup plus grave que la mienne) que vous n'avez rien compris 脿 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈.
Oh ! certes, je comprends de reste ce qui peut ici donner le change, car l'habilet茅 de 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈, comme toutes les habilet茅s non emprunt茅es d'autrui, mais n茅es de la maladresse m锚me vaincue, et d'un grand emp锚trement premier de l'esprit, cette habilet茅 de m茅tier est devenue prodigieuse. 摆鈥 Il est curieux que je sente sans cesse le truc dans Tolsto茂 ; je ne le sens jamais, ou du moins je n'en souffre jamais dans 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈. C'est que, chez lui, la chose 脿 dire est toujours neuve et importante; ou, du moins, ce qui importe, chez lui, ce n'est jamais la peinture elle-m锚me et l'ext茅rieur de ses personnages, mais il confie 脿 chacun d'eux quelque myst茅rieuse angoisse qu'il lui importe de faire partager au lecteur. Et je comprends, de reste, que l'art puisse se passer d'angoisse, et qu'une peinture parfaite n'a nul besoin d'锚tre r茅v茅latrice d'un tourment. Mais s'achopper 脿 la peinture, et ne point distinguer le tourment qui n茅cessite l'habilet茅 du coup de pinceau, c'est, lorsqu'il s'agit de 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈, lui manquer gravement ; car, c'est ce qui me pla卯t pr茅cis茅ment en lui, c'est que, pr茅cis茅ment, il ne se laisse jamais emporter par son habilet茅 de conteur, mais que chacune de ses habilet茅s reste profond茅ment motiv茅e, exig茅e, par son d茅mon int茅rieur. C'est l脿, pr茅cis茅ment, ce que je ne sens pas dans Tolsto茂 ; et c'est pour cela qu'il m'ennuie. 禄 (2 juin 1930, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 399-400)

芦 Je crois que rien n'est plus ais茅, pour un lecteur de 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 dou茅 de quelque habilet茅 de patte, d'introduire dans son oeuvre des inattendus psychologiques, des retournements, des sentiments discordants, etc., qui 茅tonnent de la m锚me fa莽on que nous 茅tonnent certains replis impr茅vus de caract猫re dans les personnages du Russe. Voil脿 ce que disait le mot : 鈥渢rucs鈥. Et, pour dire toute ma pens茅e, je ne suis pas s没r que dans 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 lui-m锚me il n'y ait pas des exemples de ces truquages ; bien entendu, je reste, comme vous, confondu devant la complexit茅 authentique, impr茅visible, indiscutablement exacte, de ses personnages; mais, par instants cependant, je crois discerner, chez les comparses surtout, et m锚me chez les premiers r么les, un coup de pouce complaisant vers la contradiction myst茅rieuse inexpliqu茅e, inexplicable, et qu'il serait peut-锚tre bien difficile de justifier psychologiquement. Quel grand romancier 茅chappe d'ailleurs, 脿 ce petit travers professionnel, d'employer parfois en 鈥渢ruc鈥 ce qui est l'茅l茅ment propre de son g茅nie ? 摆鈥 Tolsto茂, seul, me semble 茅viter cette involontaire complaisance 脿 son propre g茅nie. Parce que Tolsto茂 est profond茅ment, pauvrement, humblement honn锚te ; et se place devant l'objet avec un total asservissement 脿 son oeil ; et qu'il ne sait pas assez bien de quoi est fait son g茅nie pour pouvoir fabriquer, 脿 c么t茅 des parties g茅niales de son oeuvre, des parties qui aient l'apparence听de ce m锚me g茅nie. Et c'est en cela qu'il est un ma卯tre absolument unique. Parce qu'il apprend seulement 脿 voir, et non 脿 peindre. 禄 (12 juin 1930, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 401-402)

芦 Jamais, cher ami, je ne pourrai me faire 脿 cette esth茅tique. Il me semble qu'il n'y a pas de plus grande faute 脿 commettre dans la fabrication d'un ouvrage, que d'avoir un magnifique d茅part et une fin escamot茅e. C'est sur l'impression finale que se solidifie le jugement du lecteur. Je pense, depuis longtemps, que pour 茅viter cette faute sans pareille, le moyen est tout simple : il ne faut pas 茅crire un livre, encore moins une pi猫ce, dans l'ordre o霉 l'ouvrage doit 锚tre lu et entendu. En proc茅dant ainsi, il est fatal que l'auteur arrive 脿 son d茅nouement avec des forces us茅es, ou amoindries. 禄 (30 janvier 1931, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 438)

芦 J'ai un immense, un grandissant go没t听de la mesure dans la force. (Et j'ai beaucoup d'imagination. Je me repr茅sente intens茅ment les choses qu'on me d茅crit. Tolsto茂 ne me donne jamais que des spectacles semblables 脿 ceux que la vie m'apporte, mais il me les fait voir, alors que, seul, je ne les verrais pas. 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 m'ouvre un vasistas sur une salle d'ali茅n茅s.) 禄 (2 mars 1931, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 449)

芦听Toute ma vie, je me suis efforc茅 脿 cet 茅quilibre entre mes indignations, mes r茅voltes, 鈥 et l'茅quit茅, la vue juste de ce qu'il y a dans le camp adverse. Je suis, et chaque jour davantage, aussi loin que possible de la r茅volution pour elle-m锚me. Et, en vieillissant, je m'aper莽ois de plus en plus combien cette juste mesure est difficile, et ne peut s'obtenir que听par des oscillations听entre la r茅volution et la tradition.
摆鈥
Ne comprenez-vous pas que je suis un conteur, un homme qui s'amuse 脿 faire vivre des gens ; mettons, par gentillesse, un observateur, qui cherche, en pr茅sentant des personnages, 脿 faire chatoyer les mille facettes non seulement d'un certain caract猫re, mais aussi de l'homme en g茅n茅ral. Il est tout naturel que je sois amen茅 脿 sortir volontiers des chemins trop battus, 脿 montrer des facettes moins connues; et cela me conduit aux fronti猫res du scandaleux. Mais jamais de ma vie je n'ai eu envie de viser le scandale pour lui-m锚me, ni pour collaborer 脿 je ne sais quelle r茅forme morale. Vous faites une allusion 脿 mon 鈥溍﹖hique鈥濃 Je n'en reviens pas. En ai-je une ? 脌 peine une 鈥渆sth茅tique鈥, comme ils disent. En r茅alit茅, je n'ai gu猫re qu'un certain flair, un certain sens de la r茅alit茅, un go没t de la vie et des 锚tres, qui m'emp锚chent de fabriquer des fantoches ; je me connais : c'est 脿 peu pr猫s tout ce que j'ai en propre. 禄 (7 mars 1931, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 454-456)

芦 Buffon estimait indigne de lui de s'occuper des 鈥渢rop petits animaux鈥, des insectes. En quoi il prouvait qu'il n'茅tait pas un vrai naturaliste. Je crains que vous n'agissiez de m锚me 脿 l'茅gard de ce que vous appelez, pour un triomphe plus facile : les 鈥渧eaux 脿 cinq pattes鈥, les monstres, les exceptions. Je crois que le vrai naturaliste est celui qui sait retrouver, 脿 travers l'exception apparente, la loi, la r猫gle, et, artiste, peindre la cr茅ature 脿 l'apparence la plus banale, comme il ferait une exception. 禄 (11 mars 1931, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 457-458)

芦 Je veux dire que, en g茅n茅ral, ce qui vieillit une oeuvre, ce qui la d茅mon茅tise, ce que la post茅rit茅 laisse tomber, c'est justement ce 脿 quoi l'auteur attachait le plus de prix : ses intentions r茅volutionnaires, ses innovations, ses partis pris, ses marottes. Car, de deux choses l'une, comme disent les simplistes : ou bien ces id茅es neuves ont 茅t茅 adopt茅es, ont pass茅 dans le domaine public (Renan) et alors la post茅rit茅 trouve pu茅rile l'importance qu'y attachait l'茅crivain; ou bien ces id茅es sont rejet茅es (Taine), et l'insistance de l'茅crivain assomme la post茅rit茅; de toutes fa莽ons, sauf pour quelques historiens sp茅cialistes, c'est, dans l'oeuvre, un poids mort. Ce qui sauve une oeuvre, c'est la peinture de sentiments si humains, si essentiels 脿 l'homme, si 茅ternels, que toutes les g茅n茅rations successives y puissent retrouver leur secret. 摆鈥
Audacieux ou non, hardis ou non, je voudrais 茅viter les partis pris et les th猫ses. Je ne suis assur茅 de rien, et voudrais seulement peindre ce que j'ai vu, en portraitiste scrupuleux qui sait observer la complexit茅 de ses 尘辞诲猫濒别s, qui s'efforce de d茅nombrer les 茅l茅ments de cette complexit茅, mais qui se garde bien de tirer des conclusions. 禄 (17 mars 1931, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 464)

芦 De plus, l'impartialit茅 parfaite de l'artiste, la pure objectivit茅 de son oeuvre, m'appara卯t de plus en plus chim茅rique. L'artiste, n茅cessairement prend position ; et le mieux encore est qu'il en ait nette conscience. Il 茅crit pour prouver, quoi qu'il en ait ; et vous ne plus ne moins que les autres. Si objectif qu'il soit, et impartial, il ne peut peindre le monde que selon son 鈥渋ndice de r茅fraction鈥. 禄 (22 mars 1931, Andr茅 Gide 脿 Roger Martin du Gard, p. 466-467)

芦听Romancier objectif.听脟a veut dire que, contrairement 脿 la plupart des romanciers contemporains dont la mati猫re est essentiellement de source intime, int茅rieure, moi, j'ai, avant de pouvoir mettre ma mati猫re en oeuvre, 脿 la cr茅er hors de moi, 脿 la poser devant moi, s茅par茅e, d茅tach茅e de moi, presque 茅trang猫re 脿 moi. 禄 (12 ao没t 1933, Roger Martin du Hard 脿 Andr茅 Gide, p. 572)
Correspondance Andr茅 Gide - Roger Martin du Gard (1935-1951), Paris, Gallimard, t. 2, 1968.
芦 Ne pensez 脿 personne en 茅crivant; 脿 aucun lecteur contemporain, 脿 aucun des partis qui vous guettent, 茅crivez pour le jeune homme de l'an 2000! 禄 (16 ao没t 1935, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 41-42)

芦 Je crains que, dans tous vos d茅placements, vous ayez mal lu, ou pas lu, ces derniers num茅ros des听Temps Modernes听o霉 Sartre a publi茅 une s茅rie d'articles : 芦 Qu'est-ce que la litt茅rature ? 禄 compact, et demandant de la patience, du temps, de l'application. Mais foisonnant d'aper莽us neufs, inattendus. Bonne occasion pour mesurer combien, et comprendre en quoi, les points de vue de la g茅n茅ration Sartre diff猫rent totalement des n么tres. Ce sont des produits d'un autre climat, mais non des produits d茅g茅n茅r茅s. Bien instructif pour nous! (Rien ne m'int茅resse autant, aujourd'hui, que de comprendre en quoi et pourquoi je me sens dans tous les domaines,听诲茅辫补蝉蝉茅听par mon temps. 摆鈥 ) 禄 (10 ao没t 1947, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 376)

[Au sujet de Jean-Paul Sartre et de 芦 Qu'est-ce que la litt茅rature? 禄] 芦 Entre autres vues justes, il pose bien cette absurde question de la 鈥渓itt茅rature engag茅e鈥. Disant fort bien que tout 茅crivain est embarqu茅, mais que beaucoup se dissimulent leur engagement. Et il d茅finit clairement ce qu'il entend par 茅crivain engag茅 : celui qui, (鈥渆mbarqu茅鈥 bien entendu comme tous les autres), prend conscience de son engagement, et听s'applique volontairement 脿 l'锚tre, au lieu de se persuader qu'il ne l'est pas. J'accepte tout 脿 fait cette d茅finition. Mais ils commencent 脿 me taper sur les nerfs, avec leur 鈥渓itt茅rature engag茅e鈥 ! Comme si tout auteur r茅fl茅chi ne 鈥渟'engageait鈥 pas toujours dans son oeuvre, 鈥 qu'il le sache et le veuille, ou non ! Mais il est tr猫s significatif que cette question soit tellement 脿 l'ordre du jour. Remarquez que tous ceux qui militent pour la litt茅rature engag茅e, aujourd'hui, sont des听partisans, et qui ne se cachent pas de l'锚tre. Ils ont tous une conception philosophique, mais surtout politique du monde, et qu'ils veulent faire triompher. 禄 (6 octobre 1947, Roger Martin du Gard 脿 Andr茅 Gide, p. 382-383)
T茅moins d'un temps troubl茅 : Roger Martin du Gard, Georges Duhamel, correspondance 1919-1958, pr茅sent茅 par Arlette Lefay, Paris, Lettres Modernes, 1987.
芦 De trois phrases heureuses et sensiblement 茅quivalentes, faire une seule, bien sertie ; de dix contes, chatoyants de trouvailles, composer un parfait bijou de pierres choisies; vanner enfin, passer au crible, 锚tre impitoyable, ne vouloir conserver que le tr猫s bon, l'exceptionnel : et pour les pens茅es autant que pour la forme. Un cabinet de travail, digne de ce nom, doit poss茅der une vaste corbeille 脿 papier, centrale, embl茅matique, b茅ante et vorace ! Avez-vous la certitude qu'un pieux disciple prendra le soin de sauver pour la post茅rit茅 des morceaux choisis de Duhamel? Je crois qu'il est plus prudent de proc茅der soi-m锚me 脿 cet 茅lagage salutaire, et qu'il importe de faire, en toutes choses, tout ce qu'on peut.
Et puis vous avez de tels dons d'observation, joints 脿 une si heureuse facult茅 d'茅vocation, que j'enrage toujours lorsque je surprends votre tendance 脿 pr锚cher. Fr猫re Duhamel, je suis certain que vous gagneriez consid茅rablement en qualit茅, et m锚me en efficacit茅, si l'on ne sentait pas le sermonneur embusqu茅 derri猫re vos saisissants bonshommes. 摆鈥 Notre g茅n茅ration, j'en sais quelque chose, a pouss茅 au milieu d'une v茅g茅tation de litt茅rature 脿 th猫ses; nous ne parvenons pas 脿 nous lib茅rer de ces pr茅occupations dogmatiques, nous les accusons, nous les soulignons, nous les confions lourdement aux lecteurs, et nous encombrons nos oeuvres d'un poids mort, 鈥 souvent d'un poids mortel. 禄 (20 f茅vrier 1920, Roger Martin du Gard 脿 Georges Duhamel, p. 3-4)

芦 Je rouvre et referme votre livre [Confession de minuit]. Je cherche en gros 脿 formuler ce que j'en pense. C'est un beau, c'est un bon livre; et pourtant il me laisse encore insatisfait. J'attends beaucoup de vous. Trop ? Je ne crois pas. Un tel livre ne fait que me rendre difficile 脿 votre 茅gard, ne fait qu'exalter mes exigences. C'est un beau livre, en ce sens qu'il est 脿 peu pr猫s parfait. Vous vous 锚tes attach茅 脿 un pauvre bonhomme, 鈥 le pauvre bonhomme qui est au fond de nous tous, n'est-ce pas ? 鈥 et vous en avez fait une 茅vocation saisissante, nuanc茅e, tragique et comique, continuellement subtile, 茅mouvante et vraie. Je pense sinc猫rement que cela est parfait. Dans le choix du type, dans son trac茅 si simple, si pr茅cis, 脿 petites touches adroites et bien finies, pas l'ombre de litt茅rature : la vie m锚me, mon cher ami, la vie, vieille comme les rues 摆鈥, et pourtant in茅dite, r茅nov茅e par un oeil d'une p茅n茅tration aigu毛, ressuscit茅e par les miracles d'un coeur qui se sait se pencher amoureusement sur les 锚tres, sans ironie facile, sans illusion non plus, avec tendresse, avec une clairvoyante piti茅 fraternelle. 摆鈥
Oui, tout cela est vrai. Et pourtant vous pouviez mieux encore.
Le ton du livre, d'abord. Vous me direz que ce style mollasse, ce ton bavachard, sont bien ceux d'un 鈥淪alavin鈥. Sans aucun doute. J'ai commenc茅 par les trouver infiniment savoureux; et c'est, au d茅but, une indication irrempla莽able pour la compr茅hension du personnage. Comprenez-moi : je ne vous reproche pas le ton en lui-m锚me, mais l'usage immod茅r茅 que vous en avez fait. On se lasse de ce bavardage 茅gal, il perd vite son sens psychologique, et sa saveur, et tout relief. Et puis, 鈥 laissez-moi vider mon sac 鈥 il est facile ; il est conte de journal. Nous sommes un peu fatigu茅s de cette simplicit茅 bonhomme, que le lecteur paresseux go没te sans effort. Les trouvailles heureuses dont heureusement vous l'茅maillez sans cesse, et qui, presque constamment, r茅v猫lent l'observateur judicieux, l'茅crivain de race que vous 锚tes, ne suffisent pas 脿 en rompre assez souvent la monotonie. Je vois bien tout ce que l'on peut dire鈥 Mais je n'en d茅mords pas : c'est une mati猫re p芒teuse, dans laquelle, je le crains, il est illusoire d'esp茅rer sculpter une oeuvre d'art durable.
Mais ce n'est qu'un d茅tail.
J'ai dit que vous pouviez mieux. J'ai voulu dire que 鈥淐onfession de Minuit鈥 n'est pas le ma卯tre-livre qu'on est en droit d'attendre de votre maturit茅. Et 莽a, je ne me lasserai pas de le r茅p茅ter鈥 (Je vous entends鈥 Mais vous avez tort : il ne faut jamais remettre aux ann茅es suivantes la grande oeuvre que l'on esp猫re en soi et sur laquelle on compte pour laisser en ce monde une empreinte moins 茅ph茅m猫re. Il ne faut jamais s'attaquer qu'脿 cette seule grande oeuvre-l脿, comme si nos heures 茅taient compt茅es; et, d茅莽u chaque fois, recommencer plus grand!).
Donc le sujet Salavin est parfaitement trait茅 : mais听il est mince. Voil脿 l'irr茅parable. Vraiment votre objectif a trop peu de champ; avec cet appareil-l脿, il vous faudra, toute votre existence d'artiste, vous d茅placer d'heure en heure, et vous ne pourrez jamais prendre que des vues partielles, tr猫s limit茅es qui, m锚me mises bout-脿-bout ne rendront jamais l'aspect r茅el, complexe, enchev锚tr茅, voire confus de la vie. Vos livres me font presque toujours penser 脿 un r茅pertoire de fiches. Quelles fiches ! Des merveilles, le plus souvent鈥 Je vous envie de poss茅der un pareil tr茅sor. Mais, si j'茅tais 脿 votre place, je ne publierais pas mes notes : je les emploierais. Ce sont des mat茅riaux; des points de d茅part; d'excellents fragments pr锚ts pour une oeuvre magistrale :听il s'agit maintenant de travailler avec. Il faut jeter au creuset toutes ces p茅pites, pour couler des lingots de beau m茅tal.
Vous ne vous d茅cidez pas 脿 le faire. Pourquoi donc? Quel est le secret de cette d茅faillance ? Je me le demandais d猫s avant de vous conna卯tre. Je me disais : 鈥淟e romancier-n茅 qui certainement est en lui, 鈥 cela ne fait pas question apr猫s de tels livres, 鈥 est-il un artisan qui a besoin de sa copie ?鈥 摆鈥 禄 (11 novembre 1920, Roger Martin du Gard 脿 Georges Duhamel, p. 18-20)

芦 Mais j'ai de plus en plus l'impression que nous travaillons dans des sens oppos茅s. Et je m'explique.
Si l'on avait demand茅 脿 C茅zanne (excusez la comparaison) de faire une grande machine dans le genre des听Noces de Cana, il aurait dit 鈥渉茅las! j'ai d茅j脿 tant de mal 脿 peindre trois pommes sur un plat!鈥. Il y a des moments o霉 l'art traverse des p茅riodes de reconstruction. Dans ces p茅riodes, les artistes se remettent devant le 尘辞诲猫濒别 et font humblement, patiemment, d'apr猫s nature, des figures et des pots de terre et des bouquets de fleurs. L'histoire montre que ces compositions ne sont pas toujours sans importance. On ne conna卯t pas, de Rembrandt, une seule toile aussi grande que l'une des cent vastes peintures qui font la gloire de Rubens. Mais j'aimerais mieux poss茅der la 鈥渇amille du menuisier鈥 que tous les grands Rubens du mariage de Henri IV. Je vous le r茅p猫te, aucune comparaison entre toutes ces grandes choses et mon modeste roman. Je veux en venir 脿 ceci qu'脿 mon sens le g茅nie litt茅raire est engag茅 dans une p茅riode de reconstruction, en France, du moins. Les grandes compositions 脿 la Zola ne tentent plus, pour l'instant, que des imitateurs dont s'encombrent les 茅coles en d茅cadence. Presque tous les 茅crivains dignes de ce nom se remettent au 鈥渄'apr猫s nature鈥 minutieux; ils peignent en profondeur et non en surface. Il est possible que votre tentative annonce une renaissance de la grande composition. Je le souhaite et votre grand talent me fait le croire; mais je me m茅fie. Pour moi je vous r茅p茅terai ce que j'ai dit un soir : 鈥渏'ai d茅j脿 assez de mal 脿 peindre un seul bonhomme, je ne vais pas en mettre 40 sur pieds鈥.
Je fais ce que je peux, mais je ne suis pas d茅courag茅 par l'histoire des litt茅ratures : la presque totalit茅 des grandes compositions de Zola sera d茅j脿 dans l'oubli que le tout petit roman intitul茅听Adolphe听durera encore. Les chefs-d'oeuvre du roman, depuis听La Princesse de Cl猫ves听et les romans de Voltaire jusqu'脿听Dominique, sont des ouvrages de petites proportions, mais mieux taill茅s que听Les Mis茅rables听ou m锚me听La Cousine Bette听pour r茅sister aux si猫cles. Ce sont des choses r茅ussies, plut么t que des choses 茅normes. Les听Trois contes听de Flaubert et听Madame Bovary听vivront plus longtemps que听L'脡ducation sentimentale.
Excusez le d茅cousu de cette d茅fense et passons. Si l'on avait dit 脿 C茅zanne : 鈥淰ous avez peint deux hommes en train de jouer aux cartes; voil脿 un sujet bien mince!鈥 Peut-锚tre aurait-il r茅pondu en souriant : 鈥淨ue voulez-vous ce mince sujet est pour moi aussi consid茅rable que celui de la听Mont茅e au calvaire听de Rubens.鈥
Je ne veux pas imiter C茅zanne surtout dans un propos que je lui pr锚te ; mais je pense 鈥 c'est bien pr茅somptueux 脿 moi de l'avouer 鈥 que le sujet de听Confession de minuit听n'est pas un sujet mince. Moi, je le vois 茅norme et je suis encore tremblant d'avoir os茅 l'aborder. Vous voyez Salavin et vous dites : mince bonhomme, mince sujet. Non, mon cher ami, laissez-moi vous le dire, je crois que le m茅diocre Salavin 鈥 je l'ai fait bien m茅diocre pour que le plus grand nombre possible d'hommes s'y reconnaisse 鈥 est, dis-je, habit茅 par un grand sujet, en d'autres termes, il soul猫ve une grande, une terrible question morale. Si vous ne l'avez pas vu, c'est que j'ai manqu茅 mon affaire. Mais j'ai eu l'impression, 脿 propos de Salavin, de traiter un grand sujet.
Pour toutes ces raisons, je suis amen茅 脿 croire que nous ne 鈥渢irons鈥 pas du tout dans le m锚me sens. Pour toutes ces raisons, je commence 脿 penser avec une sorte de d茅sespoir que je ne vous donnerai jamais cette satisfaction que vous voulez bien encore attendre de moi. 禄 (14 novembre 1920, Georges Duhamel 脿 Roger Martin du Gard, p. 22-23)

芦 Quand on est ce que vous 锚tes, mon ami, on ne donne au public que le meilleur; on se doit, on doit 脿 sa dignit茅 personnelle, d'锚tre difficile, de ne rien laisser 茅chapper de m茅diocre, de facile. On doit tenir exag茅r茅ment 脿 la qualit茅 : en tout. Quel est le peintre digne de ce nom qui vend tous les soirs l'茅tude qu'il a faite le matin ? 摆鈥 Il y a une impudeur 脿 laisser couler de soi vers le public tout ce qui s'茅coule chaque jour, de par les s茅cr茅tions naturelles de notre pens茅e. 禄 (15 f茅vrier 1921, Roger Martin du Gard 脿 Georges Duhamel, p. 33)

芦 Car il nous faut toujours travailler comme si nous devions terminer notre oeuvre dans le ciel, avec l'茅ternit茅, et comme si cette oeuvre n'茅tait, tout enti猫re, destin茅e qu'脿 nous am茅liorer en vue d'une autre oeuvre, d'une autre 茅ternit茅. 禄 (16 ao没t 1923, Georges Duhamel 脿 Roger Martin du Gard, p. 100)

芦 Ces听Thibault, c'est aussi bien que possible. Et pourtant, je crois que c'est un immense effort sur une forme d'art 茅puis茅e, c'est d'une honn锚tet茅 absolue. Cela trouvera en outre son public, mais je ne peux m'emp锚cher de penser que, ni dans la technique, ni dans la psychologie, ni dans aucun des proc茅d茅s d'art mis en jeu, cela n'ajoute quoi que ce soit aux grands romans naturalistes de la fin du si猫cle dernier. Pourtant, je m'y int茅resse, non seulement parce que c'est d'un ami, mais encore parce que c'est d'une grande oeuvre et que Roger Martin du Gard est, parmi mes amis, un des derniers avec qui j'茅prouve quelque plaisir 脿 parler de mon art. 禄 (Note de bas de page, 2 avril 1928,听Journal听de Georges Duhamel, p. 162, cit茅e p. 73)

芦 Je re莽ois aujourd'hui une lettre de Roger Martin du Gard. Il me dit 脿 mots couverts avoir travers茅 une crise grave. Il ajoute que, comme il doit partir en Tunisie, son courrier l'y suivra car sa vie n'est pas assez limpide pour qu'il puisse laisser ouvrir ses lettres par des tiers complaisants. J'ai lu cette lettre sur la route et j'ai bien ri. Roger s'est donn茅 pour mission de peindre les passions. Dans ces conditions, l'id茅e qu'il pourrait n'en avoir pas l'inqui猫te beaucoup. Ce brave homme casanier, m茅ticuleux, d茅j脿 ob猫se, se pla卯t volontiers 脿 croire qu'il est le vase de tous les vices. Il fait des pieds et des mains pour se procurer quelques aventures et se donner ainsi l'illusion d'une vie tourment茅e, tragique. Telle que doit l'avoir le romancier des听Thibault. De tous les gens que je connais, le seul sur qui l'influence de Gide est vraiment visible, et encore une influence moins maligne que malicieuse. 禄 (Note de bas de page, 17 septembre 1929,听Journal听de Georges Duhamel, p. 188, cit茅e p. 119)

[脌 propos de听Tel qu'en lui-m锚me] Ce livre, o霉, visiblement, tu as voulu mettre beaucoup d'茅motion, n'茅meut gu猫re.
Je cherche 脿 comprendre pourquoi. C'est bien difficile 脿 analyser. Il r猫gne, d'un bout 脿 l'autre, je ne sais quelle aisance acad茅mique qui glace. Une fa莽on de raconter, de loin, avec d茅tachement, avec une sorte de bonhomie ironique, qui a du charme litt茅raire, 茅videmment, mais qui emp锚che de jamais oublier cet habile montreur de marionnettes que tu es. Rien de plus conventionnel, je trouve, que toute cette longue conversation du d茅but avec les Dagoult. D'ailleurs tous les dialogues de ce livre ont un tour livresque, une sorte de fausse simplicit茅 et de science consomm茅e, dans le maniement des mots, qui soulignent le fictif de l'histoire, au lieu de le faire oublier. Les personnages ont l'air de jouer un peu, de faire on ne sait quel pastiche. 禄 (28 d茅cembre 1932, Roger Martin du Gard 脿 Georges Duhamel, p. 243)

芦 Au moment o霉 je pose la premi猫re pierre, o霉, du moins, je vais la poser, tu m'annonces gravement en trois mots, la fin de ma carri猫re d'artiste cr茅ateur. Souffre que je reprenne haleine.
Que signifie tout cela ? Que tu t'es 鈥渕锚l茅 脿 la foule鈥 ? Que tu as per莽u 鈥渓a v茅ritable r茅sonance de mes derniers livres鈥 ? Que tu as vu 鈥渓es l茅zardes qui se font dans l'茅difice鈥 ? Peut-锚tre. Il se pourrait que je fusse devenu tout 脿 fait aveugle et sourd.
Est-il vrai que ton opinion exprime le sentiment de la foule ? Oh ! La foule se moque un peu de moi, de nous et des belles-lettres. Ton opinion refl猫te assez bien, 脿 mes yeux, le sentiment d'un petit groupe de gens instruits, distingu茅s 鈥 comme il para卯t que l'on dit 鈥 mais qui ne m'ont jamais aim茅 et ne m'aimeront probablement jamais. 禄 (13 janvier 1933, Georges Duhamel 脿 Roger Martin du Gard, p. 247)

[脌 propos de听Vieille France] 芦 Mon premier sentiment est d'un arbitraire agressif. Tu reprends avec courage la tradition de la litt茅rature rosse des naturalistes 脿 tous crins. Ton propos est 茅videmment de faire tort, de peindre noir et d'茅pater un peu le bourgeois. L'ouvrage en prend tout de suite un petit go没t 1890, un l茅ger parfum 鈥渆xposition r茅trospective鈥 禄 (21 mars 1933, Georges Duhamel 脿 Roger Martin du Gard, p. 253)

芦 Tu as pris, presque seul, la succession de France. Aucune page de toi qui ne sente le travail qu'un 鈥渓ettr茅鈥 destine 脿 d'autres 鈥渓ettr茅s鈥. Il y a longtemps d茅j脿 qu'脿 propos de toi le souvenir d'A. France m'obs猫de. J'ai d没 te l'茅crire d茅j脿. Son sourire de na茂f qui se sait tr猫s avis茅; son ironie masqu茅e de tours classiques; je ne sais quelle complaisance bonhomme de vieux sage, passablement satisfait de sa mod茅ration et de son indulgence philosophique; et cette tr猫s particuli猫re fa莽on d'茅crire, qui fait que vos styles sont les plus fluides, les plus harmonieux, les plus apparemment naturels qui soient, sans pourtant donner jamais l'impression d'un naturel authentique et spontan茅. 禄 (23 mai 1933, Roger Martin du Gard 脿 Georges Duhamel, p. 257-258)

芦 Pour moi le m茅lange de la forme 鈥渞茅cit鈥 et de la forme 鈥渄ialogue鈥 est une faute. Je tiens bon. 禄 (6 novembre 1935, Roger Martin du Gard 脿 Georges Duhamel, p. 276)

芦 Tu as r茅ussi et employ茅 une documentation gigantesque dont je n'arrive pas 脿 sentir le prix. Je persiste 脿 croire que, pour faire un roman, il faut une chambre, une table, du papier blanc et de l'encre. Tout tirer de soi, somme toute. Je pense que tu contribues avec force, avec 茅clat, parfois avec magnificence, 脿 cr茅er et 脿 maintenir une confusion entre le roman et l'histoire. Il faut laisser l'histoire aux historiens. Le roman, c'est la peinture des 芒mes. Que les 茅v茅nements soient l脿, marqu茅s d'un crayon rapide; mais qu'ils laissent le devant de la sc猫ne aux hommes. Que les id茅es soient dans la p芒te, mais qu'elles n'affleurent que rarement. Les 茅v茅nements et les id茅es, nous voulons les apercevoir 脿 travers Jacques, Antoine, Jenny, les comparses. Au contraire, les 茅v茅nements et les id茅es nous cachent ces protagonistes, que nous aimons et que nous ne voulons point quitter.
Cet appareil documentaire immense t'a aussi d茅tourn茅 de l'humour et de la po茅sie qui sont, 脿 mon regard, deux ressorts actifs de la cr茅ation romanesque. Je le regrette d'autant plus que l'humour est une de tes vertus. Tu en as donn茅 des preuves 茅clatantes. Enfin le souci de l'histoire et du document t'a d茅tourn茅, 么 chartiste ! de la concision. Tu vois que je n'h茅site pas 脿 formuler toutes mes critiques. J'en ai d'autres que je ne veux pas garder sur le coeur. Tu n'es pas un cr茅ateur impassible. Tu prends parti. Tu prends, visiblement, le parti de Jacques. 摆鈥
J'aime bien toutes les sc猫nes d'intimit茅. J'aime tout ce qui est psychologie pure. Je me d茅fie du romanesque cin茅ma (songe au truc du portefeuille 脿 Berlin et 脿 toute l'histoire de l'avion final et des tracts.) Il y a des choses pour lesquelles tu es fait et dans lesquelles tu excelles naturellement. Il y a d'autres choses qui sentent la volont茅, la contrainte, le parti pris. 禄 (25 d茅cembre 1936, Georges Duhamel 脿 Roger Martin du Gard, p. 294-295)

芦 Sans 锚tre exactement un roman 鈥溍 th猫se鈥 - faute d'une conclusion didactique 鈥 ce livre a n茅anmoins les d茅fauts majeurs du genre. Sous des apparences de r茅alisme et d'objectivit茅, et gr芒ce 脿 l'habilet茅 consomm茅e qui te permet aujourd'hui de dissimuler tes intentions, tu nous offres, sous des aspects vivants et vraisemblables, des personnages qui sont symboliques et fonci猫rement conventionnels. 摆鈥 Les meilleures intentions du monde ne suffisent pas 脿 茅crire un ma卯tre-livre. Je crois que tu t'es fourvoy茅. En voulant prouver trop ; en t'茅cartant de l'humble r茅alit茅 objective; en te laissant, malgr茅 toi,听aveugler par l'intentionnel. 禄 (13 f茅vrier 1951, Roger Martin du Gard 脿 Georges Duhamel, p. 294-295)
Journal (1892-1919), Paris, Gallimard, t. 1, 1993.
芦 摆鈥 je r锚vais 脿 un grand roman o霉 je mettrais tout, tout鈥 tout鈥 Ce dut 锚tre le r锚ve d'un Tolsto茂. Au lieu de cette courte nouvelle o霉 paraissent deux 锚tres peu vivants, je voulais faire un livre, plein de vie, entourer ces p芒les figures d'茅l茅gie (et cependant r茅elles, v茅cues) de tout un monde pris sur le vif. Mille caricatures, mille 肠补谤补肠迟猫谤别蝉 aussi, me venaient 脿 l'esprit 摆鈥. Au fond, ce genre de travail-l脿, c'est ma vraie vocation. 禄 (p. 97)

芦 Dans tout m茅tier il y a une 茅cole 脿 faire, dans celui de romancier comme dans les autres; j'entend pas romancier, non pas 鈥渉omme de lettres鈥 mais 鈥渇abricant de romans鈥. Fabricant? Oui, c'est bien cela. C'est une industrie, cher ami, qui a ses ficelles et ses trucs pour rouler le client (qui est le lecteur) 摆鈥. Faut-il donc ramener le m茅tier d'茅crivain 脿 celui de prestidigitateur?... mon dieu, je finis par le croire鈥 l'important est que le prestidigitateur soit convaincu de la noblesse de son art鈥 Je me suis aper莽u que les romans les plus simples, ceux dont on dit : 鈥淐'est un rien, mais c'est du g茅nie鈥 sont les plus truqu茅s鈥 摆鈥 C'est 脿 force d'art qu'on arrive 脿 cette simplicit茅 g茅niale; et lorsque je cherche dans le dictionnaire, cher ami, je trouve : 鈥淎RT, du latin听ars, adresse, artifice. 鈥 禄 (p. 103)

芦 1. C'est que je suis rebut茅 par tous les romans que je lis, 茅galement; tous me semblent surann茅s, trait茅s avec une lourdeur, une insistance, un normalisme de mauvais go没t. Ces tirades 鈥渂ien 茅crites鈥, ces perp茅tuels paragraphes de 鈥渄evoir de style鈥, ne rendent plus du tout la vie 脿 mes yeux; cela ne me fait plus illusion, c'est un langage que je ne comprends plus. 2. D'autre part, dans de rares et courts 茅clairs, j'aper莽ois tr猫s distinctement la forme que je r锚ve. 摆鈥 le roman qui ne serait qu'脿 peine litt茅rature, o霉 les 肠补谤补肠迟猫谤别蝉 seraient expliqu茅s, comme dans la vie, par des d茅tails sans liens entre eux, o霉 il y aurait du dramatique et de l'obsc猫ne, sans transition, et du comique aussi, o霉 tout le moule serait bris茅, fragment茅, assoupli, diff茅renci茅 脿 l'infini; ce livre-l脿 aurait un sujet multiple et peu limit茅, comme dans la vie; et il serait 茅crit sans style, comme on parle dans la vie; et l'auteur ne ferait jamais le Barnum bavard qui pr茅sente sa m茅nagerie, mais les types y grouilleraient, p锚le-m锚le comme dans la vie; un livre qui n'aurait pas trois cents pages, mais cinquante ou soixante. 摆鈥 Il y aurait un croquis pour repr茅senter tel ou tel personnages au physique, quelques gestes et r茅flexions not茅s, pour peindre le moral. Cela serait bref et ferm茅, t茅l茅graphique, compr茅hensible parce que court et clair. Et la vie sortirait de partout, dans les grandes marges, non pas vue 脿 travers les dissertations d'un ancien rh茅toricien, mais cueillie dans le r茅el, 脿 peine transform茅e 鈥 le minimum de transformation! Et l'originalit茅, la personnalit茅 de l'auteur consisteraient dans le choix qu'il aurait fait en faisant sa moisson 脿 travers la vie. 禄 (p. 156-157)

芦 摆鈥 je souffre tellement du roman-type en trois cent quatre-vingts pages sans blancs dans les paragraphes, j'en ai tellement, l脿, sur l'estomac, que je ne peux dig茅rer, que je voudrais plus que jamais trouver une composition nouvelle, par touches claires, pr茅cises, nettes, vari茅es, tr猫s vari茅es. 禄 (p. 166)

芦 摆鈥 le roman objectif, o霉 la personne du romancier dispara卯t enti猫rement, o霉 l'action n'est pas racont茅e comme dans le Flaubert, le Daudet, le Maupassant, mais saute aux yeux, par sc猫nes d茅tach茅es, par taches de vie, par fragments pris sur le vif, un bout de conversation, une lettre, un geste, un monologue pens茅 (c'est le plus dur, celui-l脿), une description exacte d'un d茅cor, un portrait, une biographie. Puiser dans tous les genres litt茅raires, y prendre, dans chacun, ce qui y rend mieux la vie, et juxtaposer tout cela sans transition鈥 Voil脿 ce que j'ai pris en horreur, maintenant,听la transition, le terrible d茅veloppement filandreux qui alourdit 摆鈥 Que l'int茅r锚t du livre soit dans le choix du sujet, et la suite dans les id茅es, dans la juxtaposition adroite des diff茅rents lambeaux de vie; que le lecteur ait la sensation, non pas de lire 脿 travers une imagination, mais d'assister 脿 鈥渄e la vie鈥, sans interm茅diaire; qu'il ait la sensation d'entendre et de voir, sans qu'on lui r茅p猫te ni qu'on lui d茅crive ; et que de cet amas de touches exactes jaillisse une intense impression de r茅alit茅, quelque chose comme le bon impressionnisme en peinture. Cr茅er un genre qui ne soit ni du roman, ni du th茅芒tre, qui proc猫de des deux, qui emprunte 脿 l'un la facilit茅 des multiples d茅cors et des actions coup茅es, 脿 l'autre la rapidit茅 d'impression, la coupe sc茅nique. 禄 (p. 189-190)

芦 La difficult茅 pour moi consiste sp茅cialement 脿 faire oeuvre mod茅r茅e et impartiale, j'allais dire听impersonnelle. Comme Flaubert 茅crivant听Madame Bovary听(il faut toujours regarder haut鈥) je ne veux pas qu'on puisse dire apr猫s m'avoir lu ce que je pense, moi, si je suis pieux ou pas, convaincu ou libre penseur, sentimental ou intellectuel; cela ne vous regarde pas 禄 (p. 193)

芦 Aucun roman contemporain ne me satisfait. 摆鈥 Je trouve que le roman s'茅ternise et agonise en redites et en d茅layages des grandes oeuvres du XIXe si猫cle. L'茅volution du roman, telle que je la con莽ois, telle que j'ose la d茅sirer pour mon oeuvre doit tendre 脿 une vigueur nouvelle que j'entrevois (dont je ne trouve pas de d茅finition plus satisfaisante qu'en la disant cin茅matographique). Je voudrais arriver听脿 ce que l'茅loquence des faits parle seule, et suffisamment pour 茅conomiser l'intervention de l'auteur; comme au th茅芒tre (je parle du meilleur) o霉 l'auteur s'茅clipse, et dispara卯t derri猫re les faits. Si les faits sont mal pr茅sent茅s, ils ne parlent pas, la pi猫ce est mauvaise. S'ils parlent, alors c'est la vie elle-m锚me, intensifi茅e, rendue consciente par l'art, raccourcie, r茅sum茅e, charg茅e de fluide. Et c'est tout de suite du grand art. Nous assistons tous les jours, en famille, dans la rue, partout, 脿 des faits qui brusquement s'茅clairent sous nos yeux d'une lueur intense et tragique, et semblent charg茅s de vie comme une pile est charg茅e d'茅lectricit茅. Et nous percevons l'茅motion qui s'en d茅gage, avec d'autant plus d'颈苍迟别苍蝉颈迟茅, que nous en prenons le contact direct, qu'il n'y a pas entre ces faits et nous l'interm茅diaire encombrant d'un auteur qui nous fait sentir son 茅motion personnelle, nous l'analyse, et parfois semble se battre les flancs autour des faits pour leur donner le mouvement de la vie. Souvent, au milieu d'une sc猫ne de roman, on sent ce contact direct; cela ne dure qu'une seconde; l'auteur est l脿, en travers, qui d茅vie la communication de fluide qui allait s'茅tablir entre le fait et nous. On a envie souvent de la prendre doucement par les 茅paules, et de le faire pirouetter : 鈥淟aissez-nous, mon ami, en pr茅sence des faits. S'ils sont si 茅motionnants ou si significatifs que vous le dites, nous nous en apercevrons mieux sans vous; et s'ils ne le sont pas, vous nous dupez inutilement, d'ailleurs en 茅tant peut-锚tre dupes vous-m锚mes鈥︹ Mais qu'est-ce qui fait que, dans la vie, certains faits s'茅clairent brusquement? 摆鈥 Ce sont des riens. Mais ces riens-l脿 contiennent tout ce qui nous rend saisissable la vie, la r茅alit茅 d'un fait. Il faudrait arriver 脿 reproduire ce rien, dans nos livres. 禄 (p. 321)

芦 Il n'y a pas de vie compl猫te possible sous la forme dramatique; il reste trop de vie dans la coulisse pour que ce soit compl猫tement vivant, vivant comme nous l'entendons. Et j'en reviens au grand r锚ve : faire passer dans le livre le plus possible des particularit茅s heureuses de la sc猫ne, accaparer au profit du roman le contact direct, le mouvement, le dialogue, le jeu de la sc猫ne, etc. Mais garder pr茅cieusement toutes les possibilit茅s de demi-teintes, le charme, la nuance, l'air respir茅 鈥撎le temps r茅el听鈥 etc. 禄 (p. 329)

芦 Le grand point auquel je suis arriv茅 ces jours-ci, est une ferme d茅cision de m'茅vader autant que possible du roman id茅ologique que m'impose mon sujet, d'oublier le plus que je pourrai mes recherches philosophiques r茅centes, de m'appliquer franchement 脿 porter le sujet en pleine r茅alit茅, de laisser de c么t茅 les id茅es pour ne m'attacher qu'aux 锚tres, aux sensibilit茅s, 脿 la vie; en un mot, camper des chairs vivantes, aux prises les uns avec les autres, et non des cerveaux. 禄 (p. 332)

芦 鈥淟isez-moi, sans juger mon oeuvre page par page; lisez-moi na茂vement, sans parti pris; laissez-vous mener. Et puis fermez le livre. Et, quinze jours apr猫s, revenez-y听de m茅moire. Si votre souvenir fait surgir une vision nette des personnages, leurs silhouettes pr茅cises, en relief, le grouillement de la vie, un souvenir qui ne soit pas comme le souvenir d'un livre lu, mais le souvenir d'une p茅riode de vie pr茅c茅demment v茅cue, des personnages qui sont comme des gens qu'on a fr茅quent茅s autrefois, alors, cela me suffit, je suis content, j'ai atteint l'id茅al de mon effort.鈥 Peu m'importe, en effet, que l'on reprenne mes livres pour y relire, au coin du feu, en ronronnant, telle page joliment venue, un ajustement de phrases harmonieuses, une musique. 脌 tort ou 脿 raison, j'estime ce but secondaire, et relativement facile. Mais saisir le lecteur par l'int茅r锚t du fond, la ressemblance aigu毛, path茅tique, avec sa vie r茅elle, le secouer, en d茅pit de sa volont茅, comme il le serait par un spectacle inattendu, surpris par l'ouverture d'une fen锚tre, le forcer, qu'il s'en aper莽oive ou non, 脿 r茅fl茅chir, 脿 comparer, 脿 rentrer en lui-m锚me, 脿 s'attendrit, 脿 aimer, comme on est forc茅 脿 tout cela, dans la vie r茅elle, lorsqu'on coudoie certaines souffrances, lorsqu'on a le hasard d'apercevoir, pr猫s de soi, un drame moral poignant, voil脿 ce que je veux. 摆鈥 obtenir chez le lecteur cette r茅sonnance d'茅motion et cette nettet茅 de vision que nous ressuscitons en nous, chaque fois que nous pensons 脿 Anna Karenine, ou 脿 Andr茅 Bolkonski, ou 脿 Natacha Rostov. 摆鈥 Faire des bonshommes, et non des entit茅s. 禄 (p. 358)

芦 摆鈥 je suis toujours poss茅d茅 par la r茅alisation de ce beau r锚ve : une forme vivante comme le th茅芒tre, et souple, et compl猫te comme le roman. (Mais la sottise irr茅m茅diable a 茅t茅 de vouloir r茅aliser ce tour de force sur un roman听诲'颈诲茅别蝉, aussi long et aussi complexe.) 禄 (p. 366)

芦 Je crois qu'il y a deux stades dans la jeunesse d'un romancier : au d茅but, il ne cherche qu'脿 traduire directement sa personnalit茅, il analyse ses propres sentiments, les mouvements de sa seule pens茅e, et il les exprime spontan茅ment; c'est la mani猫re directe. Puis il se lasse et vise plus loin : il a pris de l'aplomb, il a un trop plein de forces, et se mirer dans son oeuvre ne luis suffit plus tout 脿 fait. Il 茅prouve le besoin de cr茅er des 锚tres, ext茅rieurs 脿 lui, puis diff茅rents, puis oppos茅s; il cherche 脿 茅pandre hors de lui cette facult茅 qu'il a de reconstruire son propre caract猫re et de le rendre intelligible aux autres. Il veut inventer, faire vivre des individus, d茅tach茅s enti猫rement de lui. Certains, comme Rousseau, comme Barr猫s, n'ont jamais franchi la premi猫re 茅tape 摆鈥. Mais d'autres ont eu ce don de dessiner en pied des 锚tres vivants, d'autres ont su puiser dans le tr茅sor de leur auto-observation individuelle, et, avec cette mati猫re vivante, sortie d'eux, fa莽onner d'autres vies : Balzac, Tolsto茂, Ibsen, Romain Rolland鈥 摆鈥 J'ai compos茅 une oeuvre ample, anim茅e d'un grand souffle de vie, o霉 se meuvent des personnages issus de moi mais dont le fil ombilical est rompu : non seulement je ne m'y exprime pas directement, mais la rigueur de ma composition oblige mes cr茅atures 脿 茅voluer dans un sens diam茅tralement oppos茅 脿 mes tendances 禄 (p. 367)

芦 En litt茅rature, comme en arts plastiques, c'est l'茅bauche qui r猫gne鈥 Et il faut bien reconna卯tre 鈥 est-ce la faute de l'茅poque? 鈥 que ce sont les 茅bauches qui, depuis vingt ans, repr茅sentent l'art; que tout ce qui sort de la m茅diocrit茅, 脿 de rares exceptions pr猫s (et je ne puis pas exclure听Jean-Christophe听de la s茅rie des imparfaits) est inachev茅, est un geste de cr茅ation, spontan茅, dou茅 de vie, mais incomplet, fragile, perdu de fissures; des tentatives, des indications savoureuses, mais gu猫re davantage. Et c'est marcher contre le sens de son temps, que de vouloir creuser longuement son sujet, l'茅chafauder solidement, lourdement; et tra卯ner derri猫re soi le poids d'une oeuvre pesante, massive, ingrate, et sans spontan茅it茅. 禄 (p. 369)

芦 Je relis du 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 avec passion. Vraiment, il y a l脿 quelque chose de plus qu'ailleurs, une 茅vocation sombre et miraculeusement perspicace de tout un fond d'芒me, trouble, ni bon ni mauvais, sombre et vrai. 禄 (p. 465)

芦 Je n'ose encore avouer que Tolsto茂 me d茅莽oit un peu cette fois-ci. J'ai trop go没t茅 脿 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 摆鈥 Les personnages de Tolsto茂, je les vois vivre. Ceux de 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈, je suis eux-m锚mes, tout 脿 tous, et j'entre si loin en eux que je ne les comprends plus bien. 禄 (p. 588)

芦 Prends le ferme parti de ne pas remporter dans ta vie d'artiste ces pr茅occupations sociales, purement pratiques, et qui sont passionnantes mais mortelles. J'y ai beaucoup pens茅. Je suis d茅cid茅 脿 ne plus rouvrir, apr猫s la paix, ni听La Guerre sociale, ni听L'Officiel, 脿 me d茅tourner volontairement de 莽a. 摆鈥 Nous ne sommes pas des hommes d'脡tat, pas m锚me des pol茅mistes ni des sociologues. Nous sommes des artistes. Nous sommes des tendres. Nous avons un domaine, dans lequel nous pouvons 锚tre parmi les premiers, 锚tre des cr茅ateurs : c'est le domaine des 茅motions; l'expression, la traduction des 茅motions; la traduction de la vie int茅rieure. L'oeuvre d'art. Sens-tu combien l'air impur des journaux, des partis politiques, des th茅ories sociales, des discussions religieuses, des ergotages philosophiques, est pernicieux, est empoisonn茅 pour la floraison de l'oeuvre d'art? Je ne me trompe pas. Je n'exag猫re pas. Je sais bien tout ce qu'on peut dire. 脢tre de son temps, communier avec les ardeurs et les spasmes contemporains, alimenter son inspiration de ce qu'il y a de plus capiteux dans la vie des foules fraternelles. Oui ce serait beau de pouvoir vivre des si猫cles et de mener de front les d茅bats sociaux et la po茅sie int茅rieure. Mais il n'y a pas place pour ces deux passions dans la vie d'un homme. L'une est au d茅triment de l'autre. Et celle qui l'emporte, c'est la plus forte en go没t, la plus impure, la plus facile aussi, la plus accessible aux c么t茅s vulgaires de nos 芒mes. C'est vrai. Du moins pour moi : vrai, profond茅ment. / Je me retourne en arri猫re, je relis听Barois. O霉 est l'oeuvre d'art? O霉 est ce petit quelque chose qui pourrait survivre 脿 l'茅poque, 锚tre de tous les temps, 茅mouvoir le coeur de tous les hommes? Est-ce l'affaire Dreyfus? Sont-ce les discussions document茅es sur la foi, sur les dogmes, sur l'avenir de la croyance? Non. 脟a c'est nourriture pour les contemporains, pour les amateurs d'actualit茅s, ou bien, plus tard, pour quelques historiens curieux de choses mortes, p茅rim茅es. Non. Si j'ai pu, par-ci par-l脿, atteindre par bribes 脿 l'oeuvre d'art, 脿 l'oeuvre 茅ternelle, c'est dans tel ou tel mort sorti du coeur humain, vrai pour toutes les 茅poques 禄 (p. 654-655)

芦听Vous 锚tes tous les m锚mes; vous ne savez plus lire un roman; vous ne pensez qu'au rapport qu'il y a entre le h茅ros et l'auteur; mais laissez-moi donc tranquille! Barois existe par lui-m锚me, ou il n'existe pas. 摆鈥 Vous 锚tes g芒t茅s par ce qu'on appelle 鈥渞omans鈥 en France. Un conte, b芒cl茅 en une saison, qui n'est qu'une confession ou une caricature de gens connus. Il y a des romanciers qui cr茅ent des personnages diff茅rents d'eux, ayant une vie propre, distincte de l'auteur. C'est 莽a que j'essaye de faire. 禄 (Lettre 脿 un critique, cit茅e p. 711)

芦 Moi,听la vie me suffit. Je n'ai pas le besoin de le regarder 脿 travers un verre color茅. 摆鈥 la vie me suffit, telle qu'elle est, sans parure, sans interpr茅tation 禄 (p. 717)

芦 Quand on est bien p茅n茅tr茅 de la psychologie russe, au point de ne plus du tout en sentir l'exotisme, on prend l'habitude de descendre dans le coeur des personnages aussi profond茅ment qu'on peut le faire dans la vie, avec des compagnons r茅els. Les gens de听Guerre et paix, d'Anna Karenine, de听Crime et ch芒timent, de听L'Idiot, me sont certainement aussi familiers que des 锚tres avec qui j'aurais r茅ellement v茅cu; j'ai devant eux cette connaissance tr猫s approfondie, et en m锚me temps incompl猫te, forc茅ment incompl猫te, qu'on a devant des 锚tres r茅els, qu'on conna卯t bien, mais qui, par ce fait qu'ils sont vivants, riches de vie, ont sans cesse des faces nouvelles de leur caract猫re 脿 laisser d茅couvrir. On sait qu'ils peuvent encore vous 茅tonner, qu'il y a toujours 脿 d茅couvrir en eux. / Rien de pareil avec les personnages des romans fran莽ais. Le h茅ros de Balzac, le h茅ros de Flaubert (et, bien davantage encore ceux de Bourget, de Daudet, ou de Maupassant et ceux de Boylesve, et tous les autres) sont des silhouettes dessin茅es d'un contour net et d茅finitif, fig茅es, p茅trifi茅es; les plus exacts ont juste la profondeur d'une bonne analyse, savante, p茅n茅trante, mais livresque. Ils ont 茅t茅 pris dans la vie, c'est entendu, et ils en gardent l'apparence, comme le papillon piqu茅 ailes ouvertes, sous un verre de zoologiste. Mais ce fr茅missement de la vie, ce flou, ce fr茅missement de l'锚tre qui vit encore, qui palpite, qui change sans cesse, puisque la vie est une transformation de chaque seconde, voil脿 ce qu'a su fixer le g茅nie russe. Et quand on a senti 莽a, on en arrive, comme Copeau, 脿 dire : 鈥淟e roman, c'est un genre qui n'existe pas en France,听il n'y a pas de grand romancier chez nous.鈥 禄 (p. 733)

芦 Je me sens attir茅 (et la guerre n'a fait que me pousser sur cette route) vers les oeuvres 诲'颈诲茅别蝉, le livre 脿 th猫se, philosophique, sociologique. Ou, plus exactement, je me sens attir茅 脿 farcir mon oeuvre litt茅raire, roman ou th茅芒tre, de sp茅culation id茅ologique. 摆鈥 Or, 脿 certains moments 摆鈥, j'ai, comme un coup de foudre, l'intime et vertigineuse r茅v茅lation听que je fais fausse route, que je me d茅guise sous un 茅touffant v锚tement d'emprunt, que je tourne le dos 脿 moi-m锚me. 摆鈥 Il me semble m'apercevoir que ma corde propre, c'est d'exprimer non pas des id茅es, mais des sensations, des 肠补谤补肠迟猫谤别蝉, des personnages, des 锚tres humains. Que j'ai, 鈥減our de vrai鈥, une intelligence faite de sensibilit茅, et nullement une intelligence faite de raison. Que je suis un romancier et non un penseur, ni un sociologue; un manieur d'茅motions, et non un manieur 诲'颈诲茅别蝉. 摆鈥 ce serait suivre mon go没t pur, terrasser, museler mon bovarysme, atteindre l'essence r茅elle de ma sinc茅rit茅, retrouver l'artiste que je suis en vrai. 摆鈥 Il n'y a plus 脿 louvoyer. Il faut opter pour ou contre; car il faut se donner听sans partage. Qu'elle soit 鈥溁'颈诲茅别蝉鈥 ou 鈥渄e sentiments鈥, l'oeuvre exige, au plus t么t, un don听total. 禄 (p. 878-880)

芦 J'adore cet art si simple et si profond, o霉 la forme n'est qu'un langage clair et nuanc茅 pour exprimer le fond, sans prendre une importance d'ouvrage d'art, de travail d'artiste. Je me sens tr猫s apparent茅 脿 cet art-l脿. Je n'aime d茅cid茅ment pas les orf猫vres. 禄 (p. 898)

芦 Je rejette plus que jamais l'id茅e du roman court et fragmentaire fran莽ais; je pense 脿 de larges oeuvres qui se d茅roulent en profondeur et en largeur. 摆鈥听Guerre et Paix听a une structure balanc茅e, un fini de plan, qui doit 锚tre le 尘辞诲猫濒别. 禄 (p. 908)

芦 Romain Rolland a ce don admirable de dire les choses les plus simples dans le langage le plus banal, le plus quotidien, et de mettre dans ces mots usuels je ne sais quelle vibration int茅rieure, explicite et parlante, qui ouvre des horizons uniques et impr茅vus. Quelle r茅sonnance! Il faut que cette simplicit茅 soit un immuable听尘辞诲猫濒别. 禄 (p. 911)

[Sur Balzac : ]
芦 Il n'y a pas de dessous, de r茅sonnance en profondeur; et pas de transparence. Du moins pour moi. Cela ne r茅sonne pas en moi, au fond de moi. Cela reste 脿 la surface, et cela satisfait le cerveau, pas le coeur. 禄 (p. 960)

芦 Je pense 脿 Tolsto茂, qui a听肠谤茅茅听d'autres personnages que Balzac, non plus des 鈥渢ypes鈥, des sortes de r茅pliques litt茅raires de la vie (ce qu'on appelle des听肠补谤补肠迟猫谤别蝉听en rh茅to quand on analyse听Le Misanthrope), mais de vrais 锚tres vivants, qui ne sont pas des types parce qu'ils sont trop vrais pour 锚tre des entit茅s, des absolus, pour pouvoir porter une 茅tiquette. 禄 (p. 963-964)

芦 j'ai听les dons du romancier. J'ai ce don, auquel je n'ai pas plus de m茅rite que de me bien porter, de cr茅er des 锚tres et de les douer d'une apparence de vie qui fait illusion. Je puis le faire sans tirer cette substance du calque servile de ma vie et de mon histoire. 禄 (p. 970)

芦 Je suis las des probl猫mes sociaux. 摆鈥听L'homme ne m'int茅resse plus qu'INDIVIDUELLEMENT. Et cela,听辫补蝉蝉颈辞苍苍茅尘别苍迟. 禄 (p. 1045)
Journal (1919-1936), Paris, Gallimard, t. 2, 1993.
芦 J'ai toujours cette tendance, superficiellement r茅aliste, pour peindre un personnage, d'attacher de l'importance 脿 sa cravate, 脿 son cigare, 脿 ses tics, 脿 ces gestes banals que l'art a jusqu'ici n茅glig茅 脿 juste titre.听Cela est plus facile听que d'atteindre le fond d'un 锚tre. Il est plus facile de faire du mauvais Tolsto茂 que du mauvais 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈. Et j'ai derri猫re moi un long apprentissage de ces descriptions ext茅rieures, j'ai longtemps travaill茅 脿 saisir et 脿 dessiner ces d茅tails superficiels. Il faut maintenant travailler en profondeur, exalter mon r茅alisme, mais le diriger en profondeur. Creuser. Atteindre jusqu'au trouble fond des 锚tres, et n茅gliger l'accessoire. 禄 (p. 29-30)

芦 Je crois 鈥 pour revenir 脿 l'invention听dans le roman 鈥 qu'il y a chez un 茅crivain de g茅nie une fa莽on subconsciente d'inventer听qui lui permet parfois d'atteindre dans ses inventions les qualit茅s de spontan茅it茅, de 惫茅谤颈迟茅 en profondeur, que beaucoup d'茅crivains montrent dans leurs 茅crits autobiographiques. Ainsi je crois que Gide ne poss猫de pas du tout ce don d'invention-l脿; ce qui est profond茅ment听vrai听[dans ses romans] vient de lui-m锚me; ce qu'il invente est mastic; tandis que Tolsto茂 a le don d'inventer, en extrayant ce qu'il invente des profondes r茅serves de son exp茅rience, de sa sensibilit茅. C'est une sorte de transposition. Il n'invente pas en projetant sa vision hors de lui; il semble transfuser son propre sang aux 锚tres qu'il invente, et puiser en eux, comme d'autres ne peuvent puiser qu'en eux-m锚mes. 禄 (p. 45)

芦 Reste 脿 savoir si le don que j'ai de 鈥渇aire vivant鈥 peut aller au-del脿 de la stricte repr茅sentation de la vie; si je puis aller jusqu'au bout; si je suis capable de cr茅er, de faire v茅ritablement听oeuvre d'art, en ajoutant 脿 la vie r茅elle, en amplifiant. 禄 (p. 70)

芦 J'茅tais la fin de quelque chose, j'茅tais la fin, l'aboutissement de la p茅riode de Tolsto茂, de Flaubert, et d'Ibsen. 禄 (p. 70)

摆厂耻谤听Les Thibault听:]
芦 Je voudrais te dire 鈥渓e sujet鈥 du livre, mais il n'y en a pas. Ce n'est pas analysable. Tout le sujet vient de la complexit茅 des 肠补谤补肠迟猫谤别蝉, de l'emm锚lement des biographies. Ce n'est pas une th猫se, ni un probl猫me. Ce sont听des 锚tres. 摆鈥 Je m'appuie cette fois, non sur ma pens茅e, non sur mes lectures, non sur telle ou telle documentation approfondie; je fais uniquement fond sur le听don de vie. Si je l'ai, mon h茅ros vaudra quelque chose. Si je ne l'ai pas, ce ne sera rien, ce ne sera sauv茅 par rien, car je n'y mets rien d'autre听que de la vie. 禄 (p. 118)

芦 Pour un livre comme celui que je veux faire, je ne saurais trop avoir confiance dans la pers茅v茅rance et l'颈苍迟别苍蝉颈迟茅 du听travail. 摆鈥 Ne pas oublier ceci :听l'int茅r锚t听(d'un livre, d'un sujet, d'un 茅pisode, d'un caract猫re)听est au fond; il y est听toujours. Mais il faut aller jusqu'脿 lui,听creuser听jusqu'脿 ce qu'il apparaisse en pleine lumi猫re. Mon effort doit consister 脿听creuser, par couches successives; 脿 aller toujours plus avant, plus creux; 脿 compliquer 脿 l'infini les subtilit茅s d'un caract猫re, les sous-entendus des dialogues, etc. Creuser,听travailler; d'ailleurs :听approfondir. 禄 (p. 162)

芦 De tous temps, les livres de 鈥渞茅cit鈥 m'ont laiss茅 insatisfait : j'y suis g锚n茅 par l'interm茅diaire toujours sensible de l'auteur; j'y sens constamment des longueurs, des litt茅ratures. Il m'a longtemps sembl茅, ne l'oublions pas, que j'茅tais n茅 pour rompre cette tradition ronronnante, pour jeter 脿 l'eau ces orgues de barbarie, et pour cr茅er un mode nouveau, vivant, expressif, direct, impitoyable, qui happe comme une image visuelle l'attention du lecteur, l'oblige 脿 voir, 脿 assister au drame (car tout sujet est un drame), et lui laisse dans l'esprit cette ineffa莽able impression, non plus d'avoir lu une histoire, mais d'avoir 茅t茅 le spectateur involontaire des 茅v茅nements. 禄 (p. 176)

芦 Je ne dois pas faire partie des hommes听qui pensent, mais des hommes听qui racontent. 禄 (p. 200)

芦 C'est toujours par ses qualit茅s de peinture, de couleur, qu'un style se d茅mode. Voltaire est 茅ternellement jeune parce qu'il n'a pas de couleur. Je crois avoir sagement agi en m'effor莽ant vers un style sobre, excessivement simple 摆鈥. Si j'ai une certaine verve personnelle, elle appara卯tra dans la com茅die ou la farce. Je n'en ferai, je crois, jamais rien dans le roman. 禄 (p. 267)

芦 Un roman est fait pour 锚tre lu avec un int茅r锚t croissant, c'est听une chute, il faut entra卯ner le lecteur dans un mouvement acc茅l茅r茅 qui le ravisse hors de lui-m锚me. Ce n'est pas le roman tel que l'ont compris les Fran莽ais, stylistes, subtils, ratiocinant. Ce n'est pas le roman qu'茅crivent les po猫tes. Mais c'est le vrai roman. Je crois que c'est le don essentiel du romancier : le mouvement, l'茅veil jamais satisfait de la curiosit茅, le piquant perp茅tuel de l'inattendu. L脿, le roman populaire est bien dans la bonne tradition. 摆鈥 J'aspire 脿 锚tre un romancier v茅ritable; j'aspire 脿 avoir assez le don d'茅vocation, de cr茅ation vivante, pour鈥 sublimer ce qui, sous une autre plume, serait un mauvais feuilleton. Je ne suis d'ailleurs pas tout 脿 fait isol茅. Le regain actuel des livres d'aventures, c'est dans la m锚me orientation. 禄 (p. 267)

芦 Il est bien vrai que 顿辞蝉迟辞茂别惫蝉办颈 est le plus grand de tous, et qu'il fait p芒lir m锚me Tolsto茂. Il est le seul qui ait su atteindre et rendre le听secret听qui est en chaque 锚tre, cette zone indistincte, trouble, pleine de contradictions 脿 la fois et de logique, ces t茅n猫bres que la conscience individuelle n'茅claire que par lueurs intermittentes, et o霉 g卯t cependant le centre, le noyau r茅el de chaque 锚tre. 禄 (p. 293)

芦 摆鈥 mon acquis, cette ann茅e, c'est d'aller vers la d茅simplification de mes jugements psychologiques. Je ne sais si je parviendrai 脿 descendre vraiment tr猫s en avant dans mes personnages, et 脿听compliquer听surabondamment leur psychologie pour atteindre un peu de cet imbroglio de sentiments et de passions contradictoires qui forme le vrai fond d'un 锚tre. 禄 (p. 305)

摆厂耻谤听Les Thibault听:听]
芦 摆鈥 ce style uni a le plus grand de tous les m茅rites : de ne pas attirer l'attention, de ne pas faire penser 脿 lui, de rester 脿 sa place dans l'oeuvre :听un moyen d'expression. 摆鈥 Mon style actuel n'est pas une s茅cr茅tion appauvrie; c'est le style d'autrefois, pass茅 au tamis, au laminoir. 禄 (p. 306)

芦 摆鈥 plus encore que le d茅sir de peindre la r茅alit茅 telle que nous la voyons, le v茅ritable int茅r锚t d'une vie de romancier c'est de s'accrocher 脿 l'锚tre humain, si complexe, si mal connu encore, et de fouiller dans ses t茅n猫bres, et de sortir au jour quelques bribes des r茅alit茅s qui, jusque-l脿, 茅taient cach茅es dans la nuit de l'inconscient et de l'inexplor茅. Domaine obscur et consid茅rable. Depuis que les po猫tes expriment des sentiments, ce sont toujours les m锚mes qu'ils se repassent; car il est plus ais茅 en ces mati猫res de repr茅senter sous des couleurs nouvelles ce qui est d茅j脿 explor茅 et connu, que d'atteindre un sentiment jusque-l脿 sans nom et sans pr茅c茅dent. 禄 (p. 339)

芦 Le roman, tel que je l'ai connu, n'est pas du tout l'茅panchement d'un tr茅sor int茅rieur, l'茅talage de richesses, une forme d'aveu, un r茅cit o霉 tout l'int茅r锚t vient du narrateur. Pas du tout. J'aspire uniquement 脿 cr茅er des 锚tres qui vivent, et dont le souvenir s'impose, aussi bien aujourd'hui que dans cinquante ans. De m锚me que je m'applique, de toutes mes forces convaincues, 脿 laisser entrer le moins possible d'actualit茅 dans mes livres, 脿 ne choisir que ce qui est 茅ternellement humain, 脿 exclure d茅lib茅r茅ment toutes les pr茅occupations de notre 茅poque (qui, je le sais par l'exp茅rience des a卯n茅s, y compris Balzac, sont fatalement condamn茅s 脿 faire poids mort), de m锚me que je crois de plus en plus qu'il faut sacrifier le moins possible, dans le roman, aux petites qualit茅s personnelles, aux agr茅ments passagers, 脿 tout ce charme 茅ph茅m猫re qui est le reflet de la personnalit茅 de l'auteur. Tu me parles toujours de Gide, ou bien d'Annunzio. Ce sont des musiciens, des po猫tes, ce ne sont pas des romanciers dans le sens o霉 je d茅finissais tout 脿 l'heure听mon听roman. 禄 (p. 519)

芦 摆鈥 des oeuvres o霉 justement le style n'est rien, rien qu'une vitre bien claire 脿 travers laquelle on voit vivre un aquarium. L'int茅r锚t n'est pas dans le verre de la vitre, mais dans ce qui se passe de l'autre c么t茅, dans l'eau mouvante. 禄 (p. 520)

摆厂耻谤听La Cousine Bette听de Balzac : ]听
芦 Les 锚tres ne me paraissent ni vivants, ni vrais, sinon dans ce monde factice que Balzac a 肠谤茅茅 pour eux et auquel nous ne pouvons plus gu猫re nous laisser prendre. Manon Lescaut, Andromaque, Anna Karenine, Doroth茅e Brooke, sont des figures 茅ternellement humaines, qui int茅resseront tant qu'il restera un homme sur terre 禄 (p. 577)

[Au sujet d'un reproche de Gide : ]
芦 cette fa莽on de promener la lumi猫re sur des 茅v茅nements rang茅s en succession chronologique, comme on prom猫ne une lanterne au long d'un mur. Il dit que c'est une grave faute de prendre les 茅v茅nements comme ils se sont pr茅sent茅s, et non 脿 travers les 锚tres, dans leurs r茅percussions. Il dit : 鈥淪ouvent, tr猫s souvent, il faut prendre les 茅v茅nements par leur revers.鈥 En le 茅clairant na茂vement l'un apr猫s l'autre, on ne leur donne pas听l'茅clairage de l'oeuvre d'art. C'est ce qu'est un chromo documentaire, une photo en couleurs, 脿 c么t茅 d'un Rembrandt. L'art doit savoir donner 脿 certains clairs un relief exceptionnel, et aux ombres une profondeur. Ne jamais pr茅senter un personnage quand il entre, attendre pour le pr茅senter l'interrogation muette du lecteur, dont on a d茅j脿 茅veill茅 la curiosit茅 禄 (p. 1233)

芦 Le roman actuel se meurt de tourner dans le m锚me cercle mondain, dans une m锚me tonalit茅 鈥渄e bon go没t鈥. Il est parfaitement l茅gitime de s'approprier ce facteur essentiel de l'int茅r锚t du lecteur, je veux dire ce c么t茅听aventure, ou听feuilleton. 摆鈥 Rendons au roman ce c么t茅 aventureux, imaginatif, excessif m锚me, qui transporte le lecteur un peu hors de son fauteuil habituel, qui lui fasse accomplir, par un miracle d'imagination, un voyage en pays inconnu. C'est notre droit de romancier, et l'avenir (certain c么t茅 de l'avenir du grand roman vaste 脿 composition que je cherche) est l脿. 禄 (p. 1236)
Journal (1937-1949), Paris, Gallimard, t. 3, 1993.
芦 En me servant des termes que R. Fernandez emploie dans un article sur J. Giono, je dirai : 鈥淛e ne sais gu猫re faire听penser, mais je sais faire听voir. Et peut-锚tre, est-ce en faisant听voir听que je r茅ussis parfois 脿 faire听penser.鈥 Conna卯tre ses limites exactes, et s'y tenir! 禄 (p. 19)

[Sur les 茅crivains contemporains : ]
芦 摆鈥 je suis un vieux, je suis enlis茅 dans mon pass茅, je peux tout juste les suivre, les comprendre, je ne puis rien cr茅er avec eux, nous n'avons pas le m锚me pas. Je crois surtout que l'essentielle diff茅rence est l脿 : ils travaillent pour eux, pour un avenir qu'ils verront. Cet 茅lan-l脿, cette source d'茅nergie, je ne peux pas l'avoir. Je ne peux plus 锚tre qu'un vieux spectateur qui assiste au d茅part de la course et ne verra pas l'arriv茅e. 禄 (p. 315)

芦 Il y a toujours une radio, une lettre, un journal, ou un regard sur les cartes qui me ram猫ne brutalement aux r茅alit茅s, et me fait sentir l'inconsistance de mes fictions, toucher brusquement du doigt le ridicule qu'il y a 脿 vouloir 鈥渞aconter des histoires鈥 pendant que la terre tremble鈥 La seule solution pour les 茅crivains c'est 鈥 et presque tous le font 鈥 de devenir des publicistes d'actualit茅, de parler de guerre ou de paix. J'ai pris le parti de me taire 禄 (p. 334-335)

芦 Le听romancier, en moi, ne se meut 脿 l'aise que dans le pass茅, dans un monde re肠谤茅茅 par le souvenir. D'o霉 mon impossibilit茅 d'utiliser dans mon oeuvre les 茅v茅nements, les exp茅riences, les spectacles r茅cents. D'o霉, 茅galement, ma fa莽on de travailler : un premier jet informe que je laisse dormir quelque temps; et quand j'y reviens, je travaille l脿-dessus听comme听sur des souvenirs personnels, authentiques; les sc猫nes que j'ai vaguement imagin茅es, entrevues, deviennent pour moi des embryons de听souvenirs听sur lesquels je travaille ensuite comme si je m'appliquais 脿 ressusciter des souvenirs r茅els, 脿 demi oubli茅s, que l'effort de l'attention me permettra de faire r茅appara卯tre avec tous leurs d茅tails. 禄 (p. 363-364)

芦 Toujours l'茅ternelle question 鈥forme et fond鈥. Kl茅ber Haedens consid猫re comme absurde qu'on puisse les dissocier. Un de plus! Et moi, je tiens听mordicus听qu'on le peut, que je le fais 鈥 et qu'il ne faudrait pas me pousser beaucoup pour me faire d茅clarer qu'on le doit鈥 (Je pense 脿 Gide. Je l'ai vu travailler; j'ai saisi sur le vif tout le danger d'une pens茅e qui, toujours, na卯t听avec听sa 鈥渇orme鈥. Que de lieux communs il a r茅茅dit茅s, sans s'en apercevoir, parce que la qualit茅, l'originalit茅, le rythme et la r茅ussite de la 鈥渇orme鈥 lui cachait la pauvret茅 du 鈥渇ond鈥! 摆鈥) Pour moi, le fond et la forme sont aussi distincts que le li猫vre et la sauce. Est-ce que le li猫vre na卯t en civet? Procure-toi d'abord un bon li猫vre, de chair ferme; choisis-le avec discrimination, assure-toi que la viande est de bonne qualit茅, fra卯che, nourrissante; et, cela fait, confectionne ton civet. Mais prends garde de ne pas fabriquer une bonne sauce autour d'un vieux li猫vre fourbu, 茅tique, exsangue : c'est tromper les convives, et ils ne tarderont gu猫re 脿 s'en apercevoir! 禄 (p. 455)

芦 En lisant dans听Le Figaro litt茅raire听les premiers chapitres des听惭茅尘辞颈谤别蝉听de Duhamel, je songe une fois de plus 脿 ce听danger de savoir bien 茅crire, de pouvoir donner 脿 la plus mince, 脿 la plus m茅diocre pens茅e 鈥 ou fant么me de pens茅e 鈥, un tour agr茅able鈥 Cela incite fatalement 脿 pr锚ter une apparence de consistance, de densit茅, de poids, de particularit茅, 脿 ce tout-venant de l'esprit, qui ne m茅rite pas d'锚tre retenu. C'est para卯tre penser, 脿 peu de frais, sans s'en donner la peine, rien que par un travail m茅canique de style. Ils s'y trompent eux-m锚mes. Que de fois, Gide lui-m锚me鈥! L'茅clat du vernis emp锚che de voir tout de suite la vulgarit茅 du bois employ茅; la parure habile et chatoyante des mots, choisis avec recherche et adresse, cache 脿 l'茅crivain lui-m锚me l'insignifiance de son propos; et la qualit茅 que les bons faiseurs savent donner 脿 tout ce qu'ils 茅crivent les entretient dans une illusion n茅faste sur la听valeur听de leurs pens茅es. La peine qu'ont certains 脿 exprimer leurs id茅es les pr茅serve de prendre pour une pens茅e un lieu commun banal. Ils sont comme des artisans devant un morceau de bois ou de m茅tal; avant de se mettre 脿 le travailler, ils ont tout loisir de se demander si ce bout de bois ou de fer en vaut la peine, et ils ont quelque chance de s'apercevoir 脿 temps que la mati猫re qu'ils allaient employer est 脿 jeter au rebut. 禄 (p. 528)

芦 Si je vaux par quelque chose, c'est uniquement par un certain donc que je crois avoir de cr茅er des 锚tres, de donner naissance 脿 des personnages assez repr茅sentatifs de la nature humaine, et qui continuent 脿 vivre dans la m茅moire du lecteur. C'est 脿 ce don que je dois faire des sacrifices, et non pas sacrifier ce don en me lan莽ant dans un oeuvre dont la forme m'emp锚cherait d'exploiter ce don. 禄 (p. 567)

芦听Vous me dites que 鈥渓'invention鈥 de tous ces d茅tails vous a donn茅 鈥渂eaucoup de mal鈥! J'y vois une preuve qu'ils n'茅taient pas essentiels, pas m锚me n茅cessaires. L'auteur qui voit bien fortement la sc猫ne qu'il veut d茅crire, n'a gu猫re 脿 chercher ni 脿 鈥渋nventer鈥 des d茅tails : ils sont devant ses yeux, il n'a qu'脿 les transcrire, ils s'imposent d'eux-m锚mes et se pressent sous sa plume : ce qui est la preuve qu'ils sont bons, qu'ils tiennent profond茅ment au sujet, qu'ils sont significatifs. Le secret du romancier, c'est cette听vision int茅rieure. Voir la sc猫ne comme si l'on 茅tait au spectacle. Voir le d茅cor, les personnages, leurs gestes, entendre leurs paroles, deviner leurs pens茅es, avec assez d'颈苍迟别苍蝉颈迟茅听pour n'avoir plus qu'脿 noter ce qu'on voit, ce qu'on entend. Pour atteindre cette 颈苍迟别苍蝉颈迟茅, il faut 茅videmment une certaine qualit茅 d'imagination qui fait partie des dons d'un romancier-n茅; mais il faut aussi (selon moi) se repr茅senter la sc猫ne assez longtemps pour qu'elle se grave en nous comme un souvenir r茅el.听禄 (Lettre 脿 Jean Morand, cit茅e p. 575)听

[Sur sa position dans l'histoire du roman : ]
芦 摆鈥 un auteur qui se vend bien, mais que, vingt ans apr猫s, personne ne lit plus. 摆鈥 une oeuvre bien construite et soigneusement ex茅cut茅e, par un romancier d茅plorablement d茅nu茅 de tout g茅nie. 禄 (p. 643)

芦 Cette听惫茅谤颈迟茅听du r茅cit, c'est je crois mon don le plus naturel. Je me sens 脿 m锚me de mettre de ce degr茅 du 惫茅谤颈迟茅 dans tout ce que je compose. Est-ce vraiment un听don? C'est par la concentration de l'esprit, par la lenteur et l'application du travail, c'est 脿 force de me repr茅senter intens茅ment les circonstances et les personnages, que j'y parviens. 禄 (p. 741)

[Sur Duhamel, Mauriac, Schlumberger, qui interviennent dans les journaux lors de la Deuxi猫me Guerre mondiale: ]
芦 Car ceci aussi est remarquable : leur style s'abaisse avec l'actualit茅. Ces 茅crivains de race, qui ont toujours 茅t茅 si scrupuleux sur le choix des termes, qui ont un go没t si s没r pour parler de philosophie ou d'art, n'h茅sitent pas, quand ils abordent la politique 脿 employer le langage le plus faux et le plus malhonn锚te, ce vocabulaire 脿 formules creuses des politiciens鈥 Je ne leur jette pas la pierre, car je sais qu'ils renoncent 脿 leur oeuvre, 脿 tout ce qui compte le plus pour eux, par devoir, afin de 鈥渟ervir鈥. On ne peut que respecter ce dur sacrifice. Mais on a le droit de le d茅plorer, et de penser qu'ils se trompent et se laissent aveugler par un 鈥渄evoir imm茅diat鈥, erron茅, qui leur masque le vrai devoir. Ils n茅gligent ce qui serait durable et utile, pour pondre des articles utilitaires et dont il ne restera rien. 禄 (p. 745)

[Sur sa derni猫re oeuvre,听Le Lieutenant-colonel de Maumort, et听sa position dans l'histoire du roman : ] 芦
Le lecteur aura seulement l'occasion de v茅rifier, sans trop d'ennui, des choses d茅j脿 connues, sans recevoir ce choc, cette 茅motion fulgurante qu'on a dans Tolsto茂, dans Stendhal, dans tant de grandes oeuvres, devant un personnage听谤茅惫茅濒补迟别耻谤, qui soit 脿 la fois in茅dit, d茅concertant, et profond茅ment vrai. 禄 - mission de 芦 r茅v茅ler les secrets de la nature humaine 禄 (p. 802)

芦 Ceux qui lisent encore mon oeuvre (et la 鈥渄emande鈥 des lecteurs n'a pas encore baiss茅) sont des survivants d'un monde vou茅 脿 dispara卯tre tr猫s vite. 禄 (p. 827)

[Revient sur ses oeuvres : ]
芦 摆鈥 je me suis constamment听补尘耻蝉茅听en les 茅crivant, et听莽a me suffit.听Vraiment, je n'ai plus du tout d'ambition litt茅raire. Nous allons vers un temps o霉 des oeuvres de ce genre n'offriront plus aucun int茅r锚t pour personne. Le plaisir de conter, le maniement des id茅es pour elles-m锚mes, est un jeu gratuit qui n'a plus de place dans l'avenir bolch茅vis茅 ou am茅ricanis茅 (pour 莽a, c'est la m锚me chose) qui nous attend. Les hommes d'aujourd'hui n'ouvrent un livre que pour y chercher une conclusion, une doctrine pratique, un guide pour la conduite. Ils sont tr猫s capables de suivre une argumentation ardue, mais 脿 condition que 莽a puisse leur servir dans la pratique. Nos divertissements litt茅raires leur semblent d茅j脿 parfaitement inutiles, donc vains. 禄 (p. 859)

芦 Oublier ce qu'on sait par les livres, replonger aux sources, ne pas penser 脿 faire oeuvre听d'art, ne travailler que听d'apr猫s nature; et, dans la nature, s'appliquer 脿 voir, 脿 approfondir, 脿 comprendre听l'茅l茅ment humain. Notre vision de la r茅alit茅 est la seule base听personnelle听du talent (d'un peintre comme d'un romancier). C'est ce qui, personnellement, nous a frapp茅, 茅mu, qui est la source in茅puisable, o霉 nous devons chercher l'id茅e et le d茅veloppement de nos oeuvres. Pas d'autre secret pour atteindre les 茅l茅ments听durables听qui font qu'une oeuvre s'impose et d茅fie le temps. S'obstiner 脿 miser sur听l'authentique, et la partie est gagn茅e : notre oeuvre aura plus ou moins d'envergure (et le g茅nie est un don qui ne d茅pend pas de notre volont茅), mais elle sera听unique, comme chacun de nous; et sa valeur, petite ou grande, restera inalt茅rable, comme un m茅tal pr茅cieux. 禄 (p. 868)

芦 Je suis un vieux romancier, un vieil 茅crivain hors de piste, mal renseign茅, fatigu茅, 诲茅辫补蝉蝉茅 par le chaos de son temps. 禄 (p. 876)

芦 Pour moi, ce sont deux op茅rations distinctes, successives, et inconciliables : ou bien je concentre mon attention sur ce que je veux dire, et je compose le听fond; ou bien je m'applique 脿 chercher 脿 les mots justes, le mouvement de la phrase, l'adjectif suggestif, la correction et l'茅l茅gance de l'茅criture, et, alors, c'est le travail de la听forme. [Gide et Schlumberger] sont ainsi faits que, chez eux, l'id茅e na卯t avec sa forme; sinon une forme d茅j脿 parfaite, du moins avec ses particularit茅s de style, sa couleur, son ton. Ce sont souvent les inspirations du style qui leur font d茅couvrir les id茅es; c'est souvent la forme qui leur inspire le fond. Il y a l脿 deux cat茅gories de cerveaux, qui impliquent ensuite deux m茅thodes de travail. Peut-锚tre sont-ils des 鈥渁rtistes鈥, quand je ne suis qu'un 鈥渁rtisan鈥? 禄 (p. 964)

芦 Nous avions une foi sinc猫re en notre art. Et, pour la plupart d'entre nous, cette foi comptait infiniment plus que le succ猫s commercial ou l'obtention d'un prix. Il semble qu'aujourd'hui les jeunes auteurs ne visent qu'un succ猫s imm茅diat, 茅ph茅m猫re, et qu'ils fabriquent leurs livres, en vitesse, pour une saison, comme d'autres industriels produisent des articles de mode. Ils cherchent avant tout 脿 茅tonner, 脿 amuser ou 脿 scandaliser, 脿 trouver du neuf, de l'in茅dit, comme les couturi猫res et les modistes. Ils ont du savoir-faire, de l'habilet茅; ils flairent le vent, devinent ce qui plaira cet hiver. Celui qui avouerait, en publiant son bouquin annuel, qu'il a l'espoir d'锚tre encore lu dans cinquante ans, provoquerait la ris茅e de tous ses confr猫res. 禄 (p. 983)

[Revient sur ses oeuvres, en tant que terminus du roman traditionnel : ]
芦 摆鈥 je ne sais quoi de surann茅 qu'ont les oeuvres g茅n茅ratrices de rien, qui sont seulement des听oeuvres d'aboutissements. 禄 (p. 991)

[Pastiche. Roger Martin du Gard jug茅 par Victor Hugo : ]
芦 De l'imagination, de l'invention, mais aucune po茅sie, pas de philosophie, pas de style. Un talent ais茅, une s茅duction facile, mais toujours un peu vulgaire, m锚me quand il s茅duit : prenant son lecteur par les petits c么t茅s, jamais par les grands. Il est fait 脿 l'image du premier venu, ce qui lui assure g茅n茅ralement du succ猫s. Il a les d茅fauts qui plaisent, sans les qualit茅s qui choquent, ni la personnalit茅 qui impose un 茅crivain. Capable d'茅crire un 茅norme livre, un roman-fleuve, mais o霉 le 鈥減etit鈥 se fera toujours sentir. Travaillant beaucoup, pensant peu. Vou茅 脿 une certaine renomm茅e, mais 脿 un oubli plus certain encore鈥 禄 (p. 1009)
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