平特五不中

Photo Georges SimenonGeorges Simenon

(1903-1989)

Dossier

Le roman selon Georges Simenon

芦听J'aimerais sculpter mon roman dans un morceau de bois听禄听: Georges Simenon, l'artisan du roman, par Jolianne Gaudreault-Bourgeois, 2 mai 2019

Introduction. Apprendre 脿 芦听brasser de la p芒te humaine听禄.

脡viter 脿 tout prix d'锚tre trop litt茅raire听; c'est le conseil d茅terminant qu'aurait re莽u Georges Simenon dans sa carri猫re 鈥 une gracieuset茅 de l'茅crivaine Colette, alors directrice litt茅raire du Matin o霉 le jeune Simenon, 脿 la plume trop lyrique, souhaitait faire para卯tre ses contes et nouvelles. Le romancier place volontiers toute son oeuvre romanesque 脿 venir sous l'茅gide de cet avis pr茅cieux et explique r茅troactivement ce qu'il a pu signifier pour lui, c'est-脿-dire apprendre 脿 芦听raconter une histoire, d'abord, simplement, avec l'application de l'茅b茅niste 脿 son 茅tabli听禄 (Simenon 1980, p. 87). Dans la concr茅tude de l'茅criture romanesque, cet apprentissage s'est bien s没r traduit par une s茅rie de choix听: de style, de registre听; choix des mots, car, toujours, il lui fallut travailler 脿 茅purer ses textes, 脿 couper tous 芦听[l]es adjectifs, [l]es adverbes qui ne sont l脿 que pour faire de l'effet听禄 (Ibid., p. 107). 芦听Chaque phrase qui n'est l脿 que pour la phrase, coupez la听禄, conseille-t-il 脿 son tour aux jeunes romanciers en herbe. Or il faut bien voir que celui-l脿 m锚me qui se dit ici partisan d'une certaine 茅conomie des mots et des moyens est en m锚me temps l'un des romanciers les plus prolifiques de toute la litt茅rature europ茅enne听: 196 romans et des dizaines de nouvelles publi茅es sous son nom. En effet, l'oeuvre romanesque de Georges Simenon est gigantesque, abondante, foisonnante 鈥 il donne vie 脿 plus de 9000 personnages, ses romans convoquent 1800 lieux 脿 travers le monde, 187 films sont bas茅s sur ses romans 鈥, alors que son auteur ne semble en rien affect茅 par la crise continuelle qui plane sur le genre du roman au XXe si猫cle.听

Cet 茅tonnant romancier belge est n茅 脿 Li猫ge en 1903 est tr猫s rapidement int茅gr茅 脿 la litt茅rature fran莽aise. Il fait ses d茅buts 脿 travers le journalisme de faits divers 脿 la听Gazette de Li猫ge, o霉 il apprend 脿 芦听brasser de la听p芒te humaine听禄 (Simenon 1980, p. 81), ce qui devait assur茅ment lui servir pour ses futurs romans.听Apr猫s cette entr茅e dans l'茅criture par la porte du reportage, Simenon d茅barque 脿 Paris en 1922 o霉 s'amorce une longue carri猫re de romancier qui se laisse d茅cliner en quatre moments. Il 茅crit d'abord de nombreux romans populaires commerciaux (principalement des romans d'aventures, mais aussi quelques romans harlequin) et ceux-ci sont publi茅s sous de multiples pseudonymes. 脌 partir des ann茅es 1930, apr猫s avoir d茅clar茅 脿 son 茅diteur vouloir passer du c么t茅 du roman 芦听semi-litt茅raire听禄 鈥 c'est-脿-dire du c么t茅 du roman qui n'est plus simple litt茅rature commerciale, sans 锚tre proprement 芦听litt茅raire听禄 鈥, il inaugure la longue s茅rie des enqu锚tes du commissaire Maigret, laquelle s'茅chelonnera sur 103 titres. Connue par des milliers de lecteurs dans le monde, cette s茅rie le campe r茅solument du c么t茅 du roman policier et ce, malgr茅 l'茅volution de sa pratique romanesque. C'est le d茅but, moins d'une reconnaissance litt茅raire que d'une popularit茅 immense (500 millions de livres vendus et des traductions dans 55 langues) laquelle peut para卯tre bien suspecte au pays de Gide et Mallarm茅. Dans les ann茅es 1940 et 1950, pendant lesquelles Simenon vit principalement en Am茅rique, continent qui le transforme et le fascine, il s'adonne au roman听tout court, entretenant le r锚ve d'un 芦听roman听pur听禄, un id茅al peut-锚tre jamais atteint, mais qui constitue n茅anmoins le coeur de toute son esth茅tique romanesque, et ce, sans toutefois abandonner compl猫tement son Maigret.听

芦听Quand on est sur l'茅tabli, on ne voit que l'茅tabli et c'est mon cas听禄.

Ce qui frappe d'embl茅e lorsqu'on s'int茅resse au discours que tient Georges Simenon sur le genre romanesque, c'est la posture d'humilit茅 qu'il arbore 脿 travers un 鈥 pr茅tendu 鈥 芦听non-savoir听禄 sur le roman. Si le romancier se dit 芦听totalement incapable听禄 de 芦听parler du roman听禄 (Simenon 1980, p. 76) 脿 l'int茅rieur d'un discours critique coh茅rent, c'est justement qu'il ne peut s'exprimer qu'脿 travers la forme romanesque, 芦听la seule qui [lui] soit famili猫re, car [il est] malhabile 脿 pr茅ciser [s]es id茅es听禄 (Ibid., p.听9). En outre, tout ce qu'il a eu 脿 exprimer sur le roman 芦听se trouve [d茅j脿] dans ses romans听禄听et il 芦 voi[t] mal ce qu[鈥榠l] pourrai[t] y ajouter听禄 (Simenon 1991, p. 226). Ainsi, dans chacune de ses interventions, Simenon se pr茅sente r茅solument comme un praticien, c'est-脿-dire l'exact oppos茅 de 芦听l'homme de lettres听禄, une 茅tiquette qu'on continue n茅anmoins de lui accoler.听Alors que l'homme de lettres poss猫de des connaissances tangibles sur la litt茅rature, sur son histoire, et est appel茅 脿 prendre position dans les d茅bats les plus contemporains, le romancier n'a, aux dires de Simenon, guerre besoin d'intelligence pour assurer pleinement sa fonction听:听Un romancier, voyez-vous, n'est pas n茅cessairement un homme intelligent. Il y en a qui le sont, certes. [鈥 Mais il y en a qui ne le sont pas. Et ceci n'est nullement un paradoxe. Il existe ce que j'appellerais le romancier pur, l'homme qui b芒tit des romans comme d'autres sculptent la pierre ou d'autres peignent des tableaux听[鈥 (Ibid., p. 76).听C'est pourquoi, en ce qui le concerne, au terme m锚me de 芦听romancier听禄, Simenon dit pr茅f茅rer celui 芦听d'artisan du roman听禄 (Simenon 1980, p. 15), ou encore celui d'芦听ouvrier听禄 鈥 il utilise en fait les deux termes sans distinction, car c'est pr茅cis茅ment la posture du fabricant qu'il revendique 鈥, puisqu'une telle d茅signation lui permet d'esquiver toutes questions relatives aux id茅es et 脿 l'abstraction :听芦听je ne suis qu'un ouvrier des lettres. Imaginez-vous le ma莽on vous parlant d'architecture听? Il apporte sa pierre. Il la pose, il la scelle. On ne lui demande pas davantage qu'un travail bien fait听禄听(Simenon 1980, p. 77).

Simenon d茅clare donc ne pouvoir s'exprimer ni sur le roman 芦听en g茅n茅ral听禄 鈥 芦 C'est quoi au fait听? C'est trop vaste pour moi. Et je ne vous dirais que des b锚tises ou des banalit茅s. Quand on est sur l'茅tabli, on ne voit que l'茅tabli, et c'est mon cas听禄 (Ibid., p. 78) 鈥 ni sur les autres romanciers听: 芦听Je ne les connais pas ou je les connais mal听; il ne m'appartient donc pas de parler d'eux听禄 (idem). Mais il faut voir que celui qui affirme ne d茅tenir aucun savoir sur le roman en conna卯t n茅anmoins quelque chose et bien qu'il sache d'avance qu'il n'expliquera 芦听rien du tout听禄 (ibid., p. 67), il lui arrive n茅anmoins de c茅der, 芦听lorsqu'on [l']y invite, au d茅sir enfantin de [s]'expliquer sur le roman听禄 (idem). Cependant le romancier ne le fait jamais sur la base de g茅n茅ralit茅s ou de discours englobants, mais plut么t 脿 partir du seul romancier qu'il connaisse v茅ritablement, c'est-脿-dire lui-m锚me.听En fait, Simenon engage, d猫s 1936, une r茅flexion soutenue et 茅toff茅e sur le genre romanesque, tout en ayant toujours pour point de d茅part sa propre oeuvre. Ajoutons qu'il s'agit, la plupart du temps, de textes destin茅s 脿 une pr茅sentation 脿 l'oral听: lectures publiques, conf茅rences, entretiens, commandes pour 茅mission de t茅l茅vision. Le pr茅sent travail a eu pour point de d茅part l'ouvrage听Le roman de l'homme听qui rassemble les plus importants 茅crits de Simenon sur le roman. Le recueil听Portrait-souvenir de Balzac听s'est av茅r茅e une autre ressource 茅galement digne d'int茅r锚t, dans la mesure o霉 Balzac est non seulement une de ses principales r茅f茅rences litt茅raires 鈥 il est tout 脿 la fois 芦听le plus grand et le plus path茅tique des cr茅ateurs听禄 (Simenon 1991, p. 21) 鈥, mais, comme le fait remarquer Francis Lacassin, ce qu'il en dit s'applique souvent fort bien 脿 Simenon lui-m锚me (Lacassin 1991, p. 13).

脌 cela s'ajoute sa tr猫s belle correspondance avec Andr茅 Gide, l'homme de lettres par excellence, sorte de Goethe fran莽ais aux yeux de Simenon. Les deux hommes, qui se sont li茅 d'amiti茅 脿 la fin des ann茅es 1930, ont entretenu une longue correspondance, parfois tr猫s rigoureuse, parfois plus espac茅e, jusqu'脿 la mort d'Andr茅 Gide en 1951. Grand lecteur de Simenon, ce dernier 茅tait fascin茅 au plus haut point par les m茅canismes de cr茅ation de son ami : 芦听Je tiens Simenon pour un grand romancier听: le plus grand peut-锚tre et le plus vraiment romancier que nous ayons eu en litt茅rature fran莽aise aujourd'hui听禄 (Gide,听Les cahiers du Nord). Il se pr茅sente comme son lecteur 芦听le plus attentif et le plus 茅pris听禄 (Gide, Lettre du 13 d茅cembre 1938, p. 23), comme son lecteur compulsif, souvent atteint d'une 芦听simenonite aigu毛听禄 (Gide, Lettre du 12 脿 16 f茅vrier 1948, p. 121), mais 茅galement comme son lecteur-critique听: 芦听je ne vous lis plus qu'en prenant des notes听禄 (Gide, Lettre du 6 juillet 1945, p. 82). Et par-dessus tout, il aspire 脿 faire conna卯tre Simenon aupr猫s de ses diff茅rents cercles litt茅raires. En retour, le romancier belge se livre enti猫rement 脿 son 芦听Cher Ma卯tre听禄 鈥撎齝'est ainsi que commence chacune de ses lettres 鈥 et听Sans trop de pudeur听sur cet 茅tat second que constitue pour lui la cr茅ation romanesque, au point o霉 cette correspondance a fini par devenir la source la plus importante de ce travail. Simenon questionne souvent Gide sur la qualit茅 de ses derniers romans parus ; il lui fait parvenir syst茅matiquement une copie d'脿 peu pr猫s tous ses titres, comme si l'avis de son destinataire constituait la reconnaissance litt茅raire la plus pr茅cieuse.听

Vivre pour la raconter 鈥 horizontalement et verticalement.

Simenon n'a jamais cach茅 avoir fait fortune dans le roman commercial, au point d'avoir pu acqu茅rir de nombreuses r茅sidences et d'avoir fait plusieurs tours du monde. Cette esp猫ce de 芦听self-made-man听禄 de l'茅criture romanesque, qui pr茅sente volontiers ses d茅buts sous le signe de l'argent, explique qu'il a d茅finitivement pu entrer en domaine romanesque lorsqu'un matin, il p茅n茅tra dans un petit kiosque de journaux pour y acheter tous les types de de romans populaires qui s'y trouvaient, pr茅cis茅ment dans le but d'apprendre 脿 en ma卯triser les codes. Simenon 茅voque 脿 maintes reprises cette question du salaire et des diff茅rents taux horaires qu'il peut atteindre en fonction des milliers de lignes produites, car 脿 l'茅poque o霉 il oeuvrait dans le roman populaire, il 茅crivait 芦听脿 la cadence d'un [roman] par trois jours听禄 (Gide, Lettre de mi-janvier 1939, p. 29). Et de la m锚me fa莽on que cette relation entre le roman et les sommes qu'il rapporte n'est jamais taboue pour lui, c'est aussi l'un des aspects qui le fascine le plus chez l'auteur de听La Com茅die humaine. En effet, dans son听Portrait-souvenir, Simenon听revient sans cesse sur le motif de la dette et de la d茅pense qui caract茅risa la vie Balzac, celui-ci ayant d'abord 茅crit pour se sauver d'une faillite perp茅tuelle, ce qui donna en fait une oeuvre magistrale. Sans cette pression financi猫re, nous dit Simenon, Balzac n'aurait sans doute pas trouv茅 toute l'茅nergie n茅cessaire 脿 une telle entreprise (Simenon 1991, p. 34).

Mais plus que tout, ce qu'aura permis l'enrichissement personnel de Simenon gr芒ce 脿 la pratique du roman commercial c'est avant tout de vivre, et partant, d'茅crire, car pour raconter, nous dit-il, il faut d'abord avoir v茅cu, 脿 la fois 芦听horizontalement听禄 et 芦听verticalement听禄听:

脌 tant de milliers de lignes par an, autrement dit 脿 tant d'heures de travail, j'avais droit 脿 ma voiture. 脌 tant, je pouvais m'offrir le chauffeur qui irait porter la copie. 脌 partir de tant, c'茅tait le yacht dont j'avais une folle envie, la croisi猫re, les routes du monde qui m'茅taient ouvertes. C'茅tait un des c么t茅s de la question. Je voulais vivre, voyez-vous. Non pas pour moi, par simple app茅tit de la vie, mais parce que je me rendais compte que seul ce que l'on a soi-m锚me v茅cu peut 锚tre transmis 脿 autrui par le truchement de la litt茅rature. Il me fallait conna卯tre le monde de toutes les fa莽ons, horizontalement et verticalement, je veux dire le conna卯tre dans son 茅tendue, prendre contact avec les pays et les races, avec les climats et les moeurs, mais aussi le p茅n茅trer verticalement, autrement dit avoir acc猫s aux diff茅rentes couches sociales, 锚tre aussi 脿 l'aise dans un bistrot de p锚cheurs que dans une foire aux bestiaux ou dans un salon de banquiers.
Et, 脿 propos des banquiers, permettez-moi de rappeler un mot 鈥 peut-锚tre assez na茂f aussi 鈥 que je disais 脿 cette 茅poque听: Vous ne trouverez de banquiers dans mes livres que quand j'aurai pris l'oeuf 脿 la coque du matin avec l'un d'entre eux.Vivre, je le r茅p猫te intens茅ment. Vivre pour, plus tard, brasser de la vie. Vivre pour raconter des histoires (Simenon 1980, p. 88-89).

Puisque l'茅criture mobilise directement la vie, il faut donc avoir beaucoup v茅cu pour 茅crire. Mais il s'agit, dans cette logique, de vivre non pas tellement pour raconter directement sa propre vie, mais au contraire pour raconter celle des autres ; raconter d'autres vies possibles, en 茅tant confront茅 au maximum de mani猫res d'锚tre, et ce, principalement, par une exposition 脿 l'immense vari茅t茅 des professions humaines. En effet, toujours chez Simenon cette notion des 芦听vies possibles听禄 est 茅troitement li茅e 脿 la question des m茅tiers, des professions, car celle-ci caract茅rise le personnage romanesque听:

[鈥 je prends des hommes avec leur profession, avec leur entourage, avec leur vraie vie, autour d'eux. Souvent, avant moi, les personnages 茅taient pris en dehors de leur contexte. C'est Balzac qui a commenc茅. Avant, un personnage de roman n'avait pas de profession, ne gagnait pas sa vie. On n'avait pas le droit d'锚tre un personnage de roman 脿 moins d'avoir cinq mille livres de rente. (Simenon 1991, p. 195).

Ainsi, Georges Simenon frise le naturalisme en cherchant toujours 脿 camper son personnage dans une profession, dans un m茅tier, car ce gagne-pain est une des 鈥 sinon la听鈥 premi猫res choses qui le d茅finit, dans sa concr茅tude. C'est pourquoi il est assez fier d'avoir eu

plusieurs vies en une, si vous voulez. J'ai pass茅 mon brevet de capitaine au cabotage, j'茅tais marin, je peux vous conduire en bateau n'importe o霉 [鈥. Apr猫s 莽a, j'ai tenu une ferme, je me suis occup茅 de cent cinquante vaches, je faisais environ cinq cents canards par ans, et j'ai appris 脿 faucher. [鈥 Je sais traire aussi [鈥 Je peux diriger une ferme demain si vous voulez [鈥 Je suis cavalier, 茅videmment, puisque j'ai fait mon service militaire dans la cavalerie. J'ai 茅lev茅 des loups. J'ai 茅lev茅 des mangoustes. [鈥 J'ai essay茅 de faire tous les m茅tiers, comme j'ai pratiqu茅 tous les sports. Mais j'ai fait tout mal, car on ne peut pas tout faire bien (Simenon 1991, p. 210).

C'est donc ce contact avec d'autres vies que la sienne, 脿 travers les autres professions que celle d'茅crivain, qui lui permet par ailleurs d'锚tre romancier. Fait important, ce contact ne doit pas se r茅aliser dans l'observation 鈥 et sur ce point il s'茅loigne cat茅goriquement de Balzac et du naturalisme 鈥, mais plut么t dans l'exp茅rimentation, dans l'essai, comme il le signifie ici dans cette lettre 脿 Andr茅 Gide de 1939, tr猫s proche du manifeste esth茅tique ou de l'autopo茅tique听:

J'ai voulu vivre co没te que co没te toutes les vies possibles. Pour ne faire jamais de documentaire. [鈥 Et surtout pour ne pas les avoir observ茅es. J'ai horreur de l'observation. Il faut essayer. Sentir. Avoir box茅, menti, j'allais 茅crire vol茅. Avoir tout fait, non 脿 fond, mais assez pour comprendre. [鈥 Je voudrais conna卯tre tous les m茅tiers, toutes les vies. [鈥 Je peux vous avouer que c'est mon r锚ve et que c'est ce que j'ai r茅alis茅 en petit (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p. 32-33)

Si son destinataire incarne l'茅crivain qui se retient de vivre pour mieux rester disponible 脿 son oeuvre, Simenon est plut么t celui qui, au contraire, plonge sans retenue dans la vie et qui, par l脿 m锚me, se consacre enti猫rement au roman.

Un romancier romanesque.

Cela devient d'ores et d茅j脿 茅vident听: une grande part du discours que Simenon tient sur le roman consiste en une pr茅sentation 鈥 voire une 芦听repr茅sentation听禄, en raison de l'importance de la mise en sc猫ne et de la construction posturale 鈥 du 芦听travail听禄 de romancier et de sa trajectoire personnelle en tant que romancier. Cette trajectoire, pour le moins 芦听romanesque听禄, commence par un 茅pisode parisien qui convoque 脿 lui seul de puissants topos litt茅raires :

J'aurais manqu茅 脿 toutes les traditions, vous vous en rendez compte, si je n'avais manifest茅 un souverain m茅pris pour ma petite ville et si je n'avais d茅cid茅 que Paris, seul, 茅tait digne de m'accueillir. Manger de la vache 脿 Paris, Montmartre de pr茅f茅rence, c'est aussi indispensable 脿 un futur romancier [鈥. J'ai donc gagn茅 Paris et j'y ai habit茅 une chambre d'h么tel sous les toits, une chambre qui n'茅tait qu'une mansarde o霉 je me cognais la t锚te au plafond quand il m'arrivait de me r茅veiller en sursaut. Je crois que si j'avais eu de l'argent, j'aurais choisi quand m锚me cet endroit sordide, parce qu'il 茅tait dans la tradition, parce que j'aurais pens茅 trahir听la litt茅rature en vivant dans une chambre plus confortable et plus banale (Simenon 1980, p. 84).

Si Georges Simenon entre finalement tr猫s peu dans des questions d'histoire litt茅raire et d'histoire du roman, il est frappant de constater qu'il renoue avec une certaine 芦听tradition听禄 脿 partir de la construction de sa figure auctoriale. 脌 cette boh猫me parisienne et cette vie de besoins, grandement formatrice pour l'茅criture, s'ajoute en effet le topos de la mal茅diction litt茅raire, car Simenon est romancier malgr茅 lui, l'茅criture n'ayant jamais 茅t茅 un libre choix, mais une v茅ritable puissance qui l'asservit 鈥 une n茅cessit茅 tellement forte, qu'il soutient qu'il 茅crirait 芦听certainement听禄 m锚me s'il n'avait aucun lecteur (Simenon 1980, p. 111)听:听芦听脡crire est consid茅r茅 comme une profession et je ne crois pas que ce soit une profession. Je crois que tous ceux qui n'ont pas besoin d'锚tre 茅crivains, qui pensent pouvoir faire autre chose, devraient faire autre chose. 脡crire n'est pas une profession, mais une vocation pour le malheur. Je ne crois pas qu'un artiste ne puisse jamais 锚tre heureux听禄(Simenon 1980, p. 108).听Il le r茅it猫re ici : 芦听Le roman n'est pas seulement un art, encore moins une profession. C'est avant tout une passion qui vous prend enti猫rement, qui vous asservit. [鈥 Le roman n'est pas que tout cela, il est encore, pour celui qui l'茅crit, une d茅livrance听禄 (p. 103). S'il en parle aussi en termes d'un soulagement c'est que l'茅criture romanesque est une sorte de pharmakon, c'est-脿-dire 脿 la fois un poison et son plus grand rem猫de. En effet, l'茅criture d'un roman le gu茅rit toujours, m锚me quand il va mal 芦听physiquement听禄听:

Quand je ne suis pas bien portant, je dis 脿 mon m茅decin que je ne me sens pas bien, que j'ai telle ou telle chose. Mon m茅decin me r茅pond听: 芦 Quand commencez-vous 脿 茅crire un roman ? 禄 Je lui dis dans huit jours.鈥 Il me r茅pond听: 芦 Alors 莽a va 禄.听 C'est un peu comme s'il me prescrivait une ordonnance听: 芦 Faire un roman le plus t么t possible禄 . C'est ma th茅rapeutique, celle qui me convient le mieux (Simenon 1991, p.听180).

Sans surprise, cette dramatisation du travail du romancier va souvent de pair avec son esth茅tisation. Simenon 茅voque ses retraites d'茅criture 脿 la campagne dans des grandes demeures isol茅es, comme celle 芦听dans un vieux ch芒teau d'Alsace o霉 pendant un mois [il] vien[t] de vivre tout repli茅, tout tass茅 derri猫re des murs de deux m猫tres d'茅paisseur 脿 茅crire un nouveau roman听禄 (Simenon, Lettre d'avril 1939). Il d茅crit longuement sa table de travail et pr茅sente ses diff茅rents rituels d'茅criture, comme quand il 茅voque 芦听un travail听禄 auquel il se 芦听livr[e] avec amour听禄听: 芦听nettoyer ma machine 脿 茅crire jusque dans ses plus petits rouages, la huiler, l'orner d'un ruban neuf, la faire belle et rapide comme pour une comp茅tition听禄 (Simenon 1980, p.听102). Cette insistance sur la rapidit茅 n'est pas anodine, car toujours chez Simenon il est question du rythme de l'茅criture et de sa progression :听芦听Demain, je m'茅veillerai avant le jour et 脿 jeun, mal d茅barrass茅 des nuages de la nuit, je viendrai 脿 ma table, o霉 je suis s没r de retrouver mes personnages fid猫les au poste. Deux heures plus tard, il y aura un chapitre d'茅crit, un chapitre de vingt pages tr猫s exactement, car je me suis remont茅 pour vingt pages. C'est une mesure que je connais bien禄听听(idem).听La vitesse, le tempo soutenu, se font eux-m锚mes rituels d'茅criture. Et encore une fois, 脿 travers cet 茅loge de la rapidit茅, Simenon se rapproche de la figure de Balzac et de son abondance, ce bourreau de travail qui, comme le dit Simenon, abattait le plus souvent ses quarante pages en une nuit听禄 (Ibid., p. 99).

L'A B C de la cr茅ation romanesque听: roman et sculpture.

脌 cette insistance sur l'abondance de la production 鈥 qui par ailleurs le rapproche de la figure l'ouvrier, qu'il revendique lui-m锚me 鈥 r茅pond un discours sur l'aspect artisanal de l'茅criture romanesque. 脌 ce titre, la principale m茅taphore utilis茅e pour d茅crire le travail de romancier est celle du sculpteur-茅b茅niste. D'abord l'茅criture-sculpture est pour lui une fa莽on de revendiquer la dimension concr猫te et mat茅rielle de l'茅crit, car celui qui 芦听crain[t] les grands mots autant que les id茅es听禄 (Simenon 1980, p.听100) dit n'employer que des 芦听mots mati猫res听禄 (Ibid., p. 96). Mais il faut voir que Simenon revendique tout particuli猫rement ce travail du bois r茅alis茅 sur l'茅tabli pour discourir sur le personnage romanesque : 芦Je suis un artisan听; j'ai besoin听de travailler de mes mains. J'aimerais sculpter mon roman dans un morceau de bois. Mes personnages, j'aimerais les rendre plus lourds, plus tridimensionnels. Et j'aimerais cr茅er un homme dans lequel chacun, en le regardant, trouverait son propre probl猫me听禄听(Ibid., p. 123).

Parler du personnage en termes d'une sculpture, c'est mettre de l'avant le travail en 芦听trois dimensions听禄 de l'茅criture romanesque. Mais qu'entend exactement par l脿 Georges Simenon听? Il n'y a que dans sa fameuse lettre de 1939 que le romancier s'explique v茅ritablement, bien que de mani猫re tr猫s succincte, sur cette probl茅matique esth茅tique qui semble pourtant fondamentale 脿 toute son oeuvre听: 芦听j'茅tais d茅j脿 hant茅 par un probl猫me que je poursuis toujours听: les trois dimensions 鈥 le pass茅, le pr茅sent et l'avenir se nouant 茅troitement dans une seule action 鈥 avec une densit茅 d'atmosph猫re et de vie compl猫te que je n'atteignais pas et que je n'ai pas atteinte encore听禄 (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p. 30). 脌 ce titre Nicola茂 Gogol, et beaucoup plus que Balzac, lui sert de mod猫le,听car le romancier russe, dit Simenon, 芦听cr茅ait des personnages qui sont comme les gens de tous les jours, mais qui ont, en m锚me temps [鈥 la troisi猫me dimension que je recherche. Ils ont tous ce rayonnement po茅tique. Chaque personnage a le poids d'une sculpture tant il est lourd et dense 禄 (Simenon 1980, p. 124). Simenon utilise la m锚me m茅taphore pour parler de ses propres personnages : 芦听Mes personnages ont une profession, ont des caract茅ristiques听; on conna卯t leur 芒ge, leur situation de famille et tout. Mais je tente de rendre ces personnages lourds comme une statue, et fr猫re de tous les hommes de la terre听禄 (Simenon 1980, p. 123). Mais comment conf茅rer cette densit茅 au personnage romanesque le rapprochant d'une sculpture听? Pour r茅pondre 脿 cette question, il faut voir comment, concr猫tement, Simenon 茅crit ses romans, grande question qui int茅resse tant Andr茅 Gide.

D'abord, mentionnons que le prolifique romancier dit toujours avoir quelques th猫mes romanesques en r茅serve dans sa t锚te. Ainsi la 芦听phase de gestation听禄听d'un roman comporte deux aspects听: le choix d'un de ces th猫mes, qui est au fond toujours un probl猫me avec lequel l'锚tre humain est pris, et le choix d'une 芦听atmosph猫re听禄 dans laquelle il campera son r茅cit.听Deux jours avant le d茅but de l'茅criture, le romancier doit s'assurer d'avoir en main un certain mat茅riel 芦听de base听禄 et dont la fonction est de remplacer le traditionnel 芦听plan听禄 qu'utilisent la plupart de ses coll猫gues. Simenon doit se munir de son听annuaire t茅l茅phonique, ou encore d'un dictionnaire des noms propres, dans le but de 芦听chercher des noms听禄 (Simenon 1991, p. 177) ainsi que d'une carte de la ville (ou un plan de la contr茅e) o霉 a lieu l'action du roman 芦听pour voir exactement o霉 les choses se passent听禄 (Simenon 1980, p.听114). Celle-ci demeurera accroch茅e au mur de son bureau tout le temps que dure l'茅criture. Il lui faut aussi quelques enveloppes, car la journ茅e o霉 d茅bute l'茅criture du roman, tout partira d'une de ces enveloppes听: 芦听Sur l'enveloppe, je mets seulement les noms des personnages, leurs 芒ges, leurs familles. Je ne connais absolument rien des 茅v茅nements qui se produiront plus tard (Ibid., p. 114). S'ajoute 脿 cela, bien souvent, un dessin tr猫s sch茅matique de l'int茅rieur de l'appartement ou de la maison dans lequel vivent ses personnages听: 芦听je dois savoir si les portes s'ouvrent 脿 gauche ou 脿 droite, si le soleil entre par telle fen锚tre ou telle autre. Tout cela est n茅cessaire听; il faut que je puisse 茅voluer dans cette maison comme si j'茅tais chez moi. C'est cela mon plan, et rien d'autre听禄 (Simenon 1991, p. 177). Et enfin,听un horaire des chemins de fer est n茅cessaire, surtout pour ses romans听europ茅ens, 芦听car on prend le train dans les romans comme dans la vie et il faut prendre de vrais trains听禄 (Simenon 1980, p. 102). Notons au passage que nous retrouvons encore une fois au plus pr猫s de la figure de Balzac, dans une version remani茅e de la fameuse concurrence avec l'茅tat civil.

Ensuite, une fois l'茅criture v茅ritablement lanc茅e, il faut accepter une 茅norme part de non-ma卯trise ; ne pas savoir o霉 l'on s'en va, bref accepter d'锚tre livr茅 au roman et d'entrer pleinement dans l'aventure de l'茅criture, car, insiste Simenon, 芦听non, non. Je ne sais rien des 茅v茅nements avant de commencer le roman听禄 (Ibid., p. 114). Ainsi, d'un c么t茅, nous l'avons vu, le romancier insiste sur l'importance qu'a eue pour lui l'apprentissage de la fabrication d'histoires听; d'un autre 鈥 et voil脿 encore un de ses paradoxes 鈥, il dit pouvoir totalement se passer de raconter une histoire,听car ce sont eux, les personnages, qui l'茅crivent cette histoire :

il n'est pas besoin de trouver une histoire. Simplement des hommes, des 锚tres humains, dans leur cadre, leur ambiance. Le petit coup de pouce qui les met en marche鈥茅sormais je n'ai plus qu'脿 les laisser vivre. L'histoire, c'est eux qui la feront, sans que je sois capable d'intervenir, car mes personnages, s'ils sont vrais, ont leur logique 脿 eux contre laquelle ma logique d'auteur ne peut rien (Simenon 1980, p. 102).

Ce fameux 芦听coup de pouce听禄, c'est l'茅v茅nement qui bouleverse leur existence. Celui-ci peut 锚tre bien banal听: un accident de voiture, une fugue, une crise cardiaque. L'important est que ce soit un petit quelque chose qui 芦 modifie tout 脿 coup le cours de la vie du personnage听禄 (Simenon 1980, p. 177). Il poursuit听: 芦听Cet incident est un pr茅texte qui r茅v猫le ou qui d茅montre quelque chose de sous-jacent听禄 (Idem) et donc qui fera plonger le personnage dans le romanesque et qui introduira de l'aventure dans une vie o霉, a priori, il n'y en a pas du tout.

Enfin, plus qu'une 芦听Chambre 脿 soi听禄, il faut, pour 茅crire un roman, avoir du听temps devant soi, c'est-脿-dire 锚tre compl猫tement disponible, avoir la possibilit茅 d'锚tre enti猫rement pr茅sent, de corps et d'esprit. Il lui faut donc s'assurer de pouvoir soutenir le rythme de l'茅criture :

La veille du premier jour, je sais ce qui se passera dans le premier chapitre, je d茅couvre ce qui vient apr猫s. Quand j'ai commenc茅 un roman, j'茅cris un chapitre chaque jour, sans sauter une journ茅e. Parce qu'il y a une tension, je dois suivre le rythme du roman. Si par exemple, je suis malade pendant quarante-huit heures, je dois d茅truire les chapitres d茅j脿 compos茅s. Et je ne reviens jamais sur ce roman听(Ibid., p. 114).

C'est pourquoi Simenon affirme tr猫s s茅rieusement que le meilleur complice du romancier est le m茅decin, car s'il tombe malade au milieu d'un roman et s'il doit l'interrompe, celui-ci doit n'a plus qu'脿 锚tre jet茅 aux ordures :芦听[鈥 ceci vous semblera peut-锚tre absurde, mais c'est la v茅rit茅 鈥 g茅n茅ralement quelques jours avant le d茅but d'un roman, je m'arrange pour ne pas avoir de rendez-vous pendant onze jours. Puis j'appelle le m茅decin. Il prend ma tension art茅rielle, me fait un examen g茅n茅ral. Et il me dit 鈥淥kay鈥 !听[鈥 Parce qu'il faut que je sois s没r de pouvoir tenir les onze jours suivants听听禄听(Simenon 1980, p. 115).听Cette 茅criture produite en un seul jet n'admet aucun retour en arri猫re possible, aucune retouche ni r茅vision听: 芦听Apr猫s [l'茅criture du roman], il m'est impossible de changer une page. On me l'a assez reproch茅. J'aurais voulu moi aussi 锚tre capable de fignoler. Mais comme je ne sais pas comment c'est fait, je sais encore moins comment 莽a peut se r茅parer听禄, confie-t-il 脿 Andr茅 Gide qui fait encore une fois figure de contre-pied (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p. 37).

C'est donc cette fa莽on de se donner enti猫rement, de s'oublier totalement, pour mieux entrer dans la peau de son personnage et pour vivre sa vie, au sens presque litt茅ral, qui fait que ce personnage est pleinement r茅ussi et atteint la densit茅 de la sculpture :听芦听Avant d'茅crire un roman, au moment o霉 je dois me mettre dans ce que j'appelle l'茅tat de gr芒ce, je dois en sommes me vider de moi-m锚me, me vider de tout ce qui fait ma personnalit茅 pour 锚tre purement r茅ceptif, c'est-脿-dire pouvoir absorber d'autres personnages, d'autres impressions听禄(Simenon 1991, p. 175).听C'est aussi ce qui marque la grande diff茅rence entre les diff茅rentes pratiques romanesques de Simenon听:听芦听Quand je faisais un roman commercial, je ne pensais 脿 lui que durant les heures o霉 je l'茅crivais. Mais aujourd'hui, lorsque j'茅cris un roman, je ne vois personne, je ne parle 脿 personne, je ne r茅ponds pas au t茅l茅phone 鈥 je vis exactement comme un moine. Toute la journ茅e, je suis l'un de mes personnages. Je ressens ce qu'il ressent听禄听(Simenon 1980, p. 115).

Il distingue donc son oeuvre 芦听s茅rieuse听禄 de son oeuvre 芦听non-s茅rieuse听禄 脿 partir de cette question de la densit茅 du personnage qui r茅side toute enti猫re dans le ressenti, dans sa capacit茅 de vivre la vie du personnage, au moment de l'茅criture du roman. Ainsi, le personnage de Maigret, qui rappelons-nous, appartient 脿 ce qu'il appelle le roman 芦听semi-litt茅raire听禄, n'est observ茅 que du point de vue de d茅tective, c'est aussi pourquoi il 茅tait beaucoup moins dangereux pour sa 芦听tension art茅rielle听禄 que ses v茅ritables personnages des romans (Ibid., p. 125). C'est pourquoi, il annonce 脿 intervalle 脿 Andr茅 Gide, qui souhaiterait le voir abandonner pour de bon son c茅l猫bre inspecteur听: 芦听pour me reposer, je vais 茅crire un Maigret听禄 (Simenon, Lettre du 16 juillet 1946, p.听156). Cet ancrage dans le corps est si fort chez Simenon, que c'est en ces termes qu'il d茅voile les m茅canismes de l'茅criture romanesque 脿 son correspondant, et 脿 nouveau dans cette substantielle lettre de 1939 :

Il y a un mot qui nous est familier 脿 ma femme et 脿 moi听: 鈥渕e mettre en transe鈥. [鈥 Plus de vie int茅rieure ni ext茅rieure. Rien qu'une vie physique [鈥 Une sorte d'abrutissement volontaire, int茅gral. Encore un mot du m茅nage听: l'脡tat de gr芒ce. Y rester co没te que co没te. Si je suis parti sur un air de Bach, il faut qu'on me le joue chaque jour 脿 la m锚me heure. Rien ne peut changer dans l'ordonnance des journ茅es. Le moindre impr茅vu risque de flanquer tout par terre (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p. 34)

Mais comme on ne peut pas rester dans cet 茅tat fatiguant tr猫s longtemps, tous les romans de Georges Simenon sont assez courts, voire tr猫s courts听:听芦听apr猫s cinq ou six jours, c'est presque intol茅rable. C'est une des raisons pour lesquelles mes romans sont si courts听; apr猫s onze jours je ne peux鈥'est impossible. Je dois鈥'est physique. Je suis trop fatigu茅听禄(Simenon 1980, p. 115).听N茅anmoins, il dit souhaiter un jour, avec les ann茅es et l'exp茅rience, parvenir 脿 prolonger cet 茅tat de 芦听transe听禄 afin d'茅crire un 芦听grand roman听禄 o霉 il arriverait 脿 vivre la vie de plusieurs personnages, principaux et secondaires, et jusqu'脿 芦听celles des听moindres comparses听禄 (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p. 35).

L'amour des听Petits hommes听et听La recherche de听l'homme tout nu.

Ainsi dans le mouvement de l'茅criture tel que le con莽oit Simenon, on part toujours de soi pour aller vers l'autre : 芦 l'artiste ne doit pas seulement regarder en lui-m锚me. Il doit aussi regarder 脿 l'int茅rieur des autres avec l'exp茅rience qu'il a de lui-m锚me. Il 茅crit avec sympathie parce qu'il sait que l'autre lui ressemble听禄 (Simenon 1980 p. 111). Or cette sympathie, Simenon semble l'adresser tout particuli猫rement aux personnes les plus banales de la soci茅t茅, celles qui, trop souvent, n'entrent pas dans les livres, bref aux听Petits hommes, selon l'expression du titre d'une oeuvre autobiographique faisant partie des听顿颈肠迟茅别蝉. En effet, si, nous l'avons vu, pour 锚tre romancier, il faut 锚tre 脿 l'aise, comme chez soi, dans tous les milieux sociaux, vivre 芦听verticalement听禄, Simenon r茅affirme tr猫s souvent son appartenance aux gens simples de Li猫ge et celui qui est n茅 fils du peuple tient 脿 le rester, malgr茅 son immense fortune accumul茅e...

Choisir 芦 pour raconter [s]es histoires, les gens les plus simples听禄 (Ibid., p. 87) se traduit par une pr茅f茅rence pour les sujets avec d'humbles professions,听les sujets qui sont les moins 茅volu茅s possible, car ceux-ci lui permettent de cr茅er des personnages bruts, directement pris dans les probl猫mes les plus concrets de la vie quotidienne, mais aussi enclins 脿 se laisser entrainer dans une situation qui les d茅passe et qui fait basculer leur quotidien. Bref, ces听Petits hommes听bien quelconques se laissent facilement entrainer par ce 芦听petit coup de pouce qui les met en marche听禄 (Simenon 180, p. 102) et qui donne naissance au romanesque chez Simenon :听芦 听Car un personnage de roman, c'est n'importe qui dans la rue, c'est un homme, une femme quelconque [...] Le personnage de roman, lui, ira jusqu'au maximum de lui-m锚me et mon r么le 脿 moi, romancier, est de le mettre dans une situation telle qu'il y soit forc茅听禄听(Simenon 1980, p. 101).

En effet, plus proches de leurs instincts et de leurs 茅motions, ces sujets donnent naissance 脿 des personnages qui sont priv茅s de la m茅diation existentielle qu'exerce la grande conscience culturelle et philosophique. Ces personnages n'茅chappent pas 脿 la situation dans laquelle ils sont plac茅s pour entrer dans les m茅andres de la pens茅e. Ils n'ont aucun imaginaire litt茅raire et ils n'ont pas les moyens existentiels et philosophiques pour mettre en forme leur propre vie. Ils sont en quelque sorte l'envers des aristocrates gidiens, eux pris dans les grands drames de la culture. 脌 son correspondant qui regrette ce choix pour le monde des petits employ茅s de magasin, des concierges et des modestes retrait茅s, Simenon r茅pond qu'il n'y a l脿 qu'une apparence de simplicit茅, que 芦听le personnage compliqu茅听禄 est 芦听plus facile听禄 脿 fa莽onner que le personnage simple puisque l'茅crivain est un 锚tre 芦听a priori compliqu茅听禄 et donc il 芦听le sent et le comprend mieux que n'importe quel autre听禄 (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p.听30). Cet int茅r锚t pour les petites gens s'accompagne aussi d'une conception de l'histoire听鈥 芦听Je crois fermement, quant 脿 moi, qu'apr猫s la p茅riode aristocratique, puis la p茅riode bourgeoise, il n'y aurait non pas la p茅riode ouvri猫re que 1936 laissait pr茅voir, mais la p茅riode des petites gens ce qui est fort diff茅rent [鈥听禄 (Simenon, Lettre du 3 ao没t 1941, p. 60) 鈥 et du d茅sir avou茅 d'en 茅crire 芦听l'茅pop茅e听禄听: 芦听Au fait tous les gros succ猫s am茅ricains [Faulkner, Dos Passos, etc.] dont vous me parliez un jour ne sont-ils pas des livres sur les petites gens ? Dont je suis et dont je voudrais 茅crire l'茅pop茅e. On verra ce que 莽a donne 禄 (idem).

Plus que tout, l'int茅r锚t de prendre de听Petits hommes听pour personnages principaux tient au fait que ceux-ci permettent d'atteindre plus directement ce qu'il appelle 芦听l'homme tout nu听禄, une des rares notions esth茅tiques et conceptuelles (avec celle des 芦听trois dimensions听禄 et celle de 芦听roman pur听禄) qui revient de mani猫re presque syst茅mique chez Simenon :

Je ne cherche au fond que l'homme tout nu. [鈥 si je prends des hommes tr猫s quelconques, c'est que pour moi ils repr茅sentent davantage l'homme qu'un normalien, un g茅n茅ral, un dictateur, un savant, un g茅nie quelconque. Et si mes personnages ratent, c'est que l'homme rate, fatalement. Il rate consciemment ou inconsciemment. C'est 脿 mes yeux, le seul drame听: la disproportion entre ce que l'homme voudrait, pourrait 锚tre, entre ses aspirations et ses possibilit茅s听(Simenon, Lettre du 29 mars 1948, p. 132-133).

Mais qu'est-ce que cet 芦 homme tout nu听禄, exactement听? Posture praticienne obligeant, la teneur exacte de cette notion demeure impr茅cise et celle-ci se voit plut么t mise 脿 profit dans le titre d'une oeuvre litt茅raire, le recueil de nouvelles听脌 la recherche de l'homme tout nu听qui aurait pu servir de maxime 脿 son art du roman. En effet, cette id茅e d'芦听homme tout nu听禄 donne lieu 脿 une des seules d茅finitions du genre romanesque que l'on retrouve chez Simenon听:听芦听Le roman, c'est l'homme, l'homme tout nu, comme je l'ai dit tout 脿 l'heure et l'homme habill茅, l'homme de tous les jours, c'est parfois le terrible drame de l'homme tout nu et l'homme habill茅, entre l'homme 茅ternel et l'homme d'une 茅ducation, d'une caste ou d'un instant du monde, mais c'est surtout le drame de l'Homme aux prises avec son destin听禄听(Simenon 1980, p. 97).

Tout porte 脿 croire que 芦听l'homme tout nu听禄 est en r茅alit茅 une sorte de point de vue sur l'homme听; un point de vue intime, sans pudeur, qui n'a rien d'茅rotique pour autant 鈥 Simenon exclut, le plus souvent, toute intrigue amoureuse de ses romans 鈥, et qui s'apparente plut么t 脿 celui du m茅decin sur son patient. Romancier et m茅decin ont en effet beaucoup en commun aux yeux de Simenon听; ils partagent ce m锚me regard sur l'homme, ax茅 sur l'empathie et la v茅rit茅听: 芦听m茅decins et romanciers, nous avons les uns et les autres, vis-脿-vis de l'homme, ce que j'appellerai un m锚me angle de prises de vue et que nous cherchons en lui la m锚me petite lueur de v茅rit茅听禄 (Simenon 1991, p. 169). Le m茅decin et le romancier voient l'homme d茅barrass茅 de ses habits, c'est-脿-dire des apparences et des conventions de la vie sociale. Un avocat et un caissier de magasin, tous deux malades sur un lit d'h么pital, habill茅s dans la m锚me jaquette bleue, n'ont-ils pas les m锚mes inqui茅tudes et ne se ressemblent-ils pas, au fond ? En ce sens, la听Recherche de l'homme tout nu听est aussi un moment de l'histoire du roman, soit son听maintenant听: 芦 Alors qu'en quelque sorte l'茅crivain 茅tudiait l'homme habill茅, n'en sommes-nous pas arriv茅s 脿 l'homme tout nu, 脿 l'homme en proie 脿 lui-m锚me et 脿 ses fant么mes听? On fouille les replis les plus intimes comme, en biologie, on s'efforce d'aller jusqu'au noyau premier de la mati猫re vivante听禄 (Simenon 1991, p. 228).

Aussi cette notion 芦听d'homme tout nu听禄 rejoint son amour pour les petites gens dans la mesure o霉 nous y retrouvons cette m锚me volont茅 d'茅loigner l'abstraction et la pens茅e pour embrasser le concret de la vie, c'est-脿-dire, comme le dit Simenon, toucher 芦听non pas tant [脿] ce que pense, mais 脿 ce que sent l'homme听禄, 脿 芦听ses moindres comportements听禄听; 芦听savoir comment le fermier mange, comment il fait l'amour avec sa femme听禄 (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p. 33). En outre, en montrant 芦听l'homme tout nu听禄, le roman entre dans le domaine de l'empathie, et non seulement du point de vue de l'auteur, mais 茅galement vis-脿-vis du lecteur. En effet, nous en avons tr猫s peu parl茅 jusqu'脿 maintenant, mais Simenon accorde une importance capitale au lecteur de son oeuvre et absolument rien ne lui fait plus plaisir qu'un lecteur qui se reconna卯t dans son personnage. Or, c'est pr茅cis茅ment dans 芦听l'homme tout nu听禄 que le lecteur se reconna卯t le plus, car il semble que ce point de vue permette de cr茅er 芦听une image totale de l'homme听禄 (Lettre du 23 novembre 1950, p. 171) et, par l脿, la forme du roman atteint une certaine universalit茅. C'est aussi par l脿 que le romancier arrive 脿 fabriquer 芦 des personnages r茅els听禄 脿 qui 芦听il faut leur accorder une enti猫re r茅alit茅听禄 (Simenon 1980, p.听102)

Consid茅rations sur un casque colonial en guise de conclusion : du roman d'aventure 脿 l'id茅al du 芦听roman pur听禄.

Des ann茅es 1920 aux ann茅es 1960, Georges Simenon semble endosser enti猫rement le romanesque, c'est-脿-dire au moment m锚me o霉 celui-ci est point茅 du doigt, mis 脿 mal. Nous avons vu que le romancier croit fermement au personnage 鈥 celui-ci est bien 芦听r茅el听禄 et pr茅serv茅 de tout听soup莽on听鈥 et ne remet jamais en question le sens m锚me de l'acte de raconter. On lui a aussi souvent reproch茅 d'ignorer totalement les bouleversements de l'actualit茅 politique europ茅enne, 脿 commencer par la Seconde Guerre mondiale. C'est pourquoi une question nous est rest茅e en t锚te tout au long de l'茅criture de ce travail听: Georges Simenon est-il anachronique dans son si猫cle听? Cette courte phrase contenue dans une lettre 脿 Andr茅 Gide montre bien que Simenon arrive en quelque sorte 脿 ce m锚me constat : 芦听Mon Dieu听! Que je me sens loin de la litt茅rature ou comme la litt茅rature est loin de moi !听禄 (Simenon, Lettre du 29 mars 1948, p. 134).

Mais nous ne croyons pas que Simenon soit, pour autant, 芦听en retard听禄 sur son si猫cle, et encore moins qu'il soit r茅actionnaire, sur le plan des enjeux litt茅raires. Jamais il ne s'en prend 脿 la nouveaut茅. Plut么t, il n'en parle pas. Il ne commente pas les grandes r茅volutions dans la forme romanesque. Il est simplement听脿 c么t茅听de son temps, en retrait, ce qu'accentue 鈥 ou met en 茅vidence 鈥 son 茅loignement g茅ographique vis-脿-vis des grands centres litt茅raires :

J'ai d茅cid茅ment perdu tout contact avec le monde ext茅rieur et particuli猫rement avec celui de la litt茅rature. J'habite une toute petite maison, en pleine solitude, au pied des montagnes, avec seulement des boeufs et des chevaux en libert茅 tout autour. [...Cela me para卯t extravagant, d'ici, qu'il puisse exister des caf茅s litt茅raires, des salles de r茅daction et des anti-chambres d'茅diteurs. Il est vrai que je ne les ai jamais fr茅quent茅s. Cette sauvagerie [鈥 n'est pas voulue, mais [鈥 a toujours 茅t茅 habituelle听(Simenon, Lettre du 10 octobre 1948, p. 146).

Mais Simenon n'est pas pour autant na茂f. Il sait que 芦听c'est impossible, absolument impossible听禄 (Simenon 1980, p. 110) de croire que le roman peut retourner 脿 l'esth茅tique du XIXe si猫cle. Et ce n'est pas ce qu'il souhaite. Il se montre 茅galement tr猫s critique de sa propre production romanesque et 脿 quarante-deux ans, il d茅clarait n'avoirpas encore 茅crit son premier roman, alors qu'il en avait, en r茅alit茅, d茅j脿 produit des dizaines. C'est qu'il con莽oit sa longue carri猫re comme un interminable apprentissage du roman qui d茅buta, nous l'avons vu, avec la ma卯trise des codes du roman populaire d'aventures. Et on pourrait dire que c'est pr茅cis茅ment ce rapport 脿 l'aventure, qui 茅volue 茅norm茅ment 脿 travers son oeuvre sur la tangente de la d茅sillusion, qui, en derni猫re instance, le raccroche 脿 son si猫cle et le fait soudainement moins para卯tre anachronique.

D'une part, il est vrai qu'il y a chez Simenon une forte nostalgie de l'aventure, car au temps o霉 il 茅crivait ses romans populaires, il pouvait, en imagination, vivre avec les 芦听gazelles, antilopes, outardes, gangas, francolins, sans compter les z猫bres, les lions [鈥听禄 et donc de s'茅vader de la place des Vosges 芦听sous la pluie du matin au soir听禄听: 芦听je vivais, moi, cinq ou six jours durant, dans un paysage merveilleux. Avec mes personnages, avec mon h茅ro茂ne surtout, que les pi猫ges attendaient 脿 chaque pas听[鈥听禄 (Simenon 1991, p. 118-119). 脌 cette 茅poque, celle de l'茅vasion par excellence, il pouvait sans probl猫me mettre en sc猫ne l'aventure, justement parce qu'il ne l'avait pas cherch茅e.听D'autre part, lorsqu'il se met 脿 chercher cette aventure dans le monde r茅el, par l'exploration et le voyage, il ne la trouve pas : 芦听Depuis cette 茅poque, j'ai voyag茅 presque sans interruption et explor茅 les contr茅es qui servent de cadre 脿 ces romans. Jamais je n'ai connu, comme en les 茅crivant l'ivresse de l'aventure听!听禄 (Simenon 1991, p. 117). Son rapport 脿 l'aventure est celui d'une progressive d茅sillusion, laquelle est toute contenue dans cette anecdote qu'il reprend dans plusieurs de ses textes puisqu'elle est essentielle 脿 l'茅volution de sa pratique romanesque. Simenon raconte que l'aventure, au sens litt茅ral, se termine pour lui le jour o霉 il est sur le point de partir pour une premi猫re fois en Afrique (apr猫s avoir tant 茅crit de romans prenant place dans ce continent), depuis le port de Marseille. Il entre, 脿 la toute derni猫re minute chez un chapelier et se prend 脿 essayer un casque colonial. Il per莽oit alors, dans cet aspect de 芦听conqu茅rant听禄, tout son ridicule :听芦听Devant ma piteuse image, j'ai senti que je franchissais un nouveau cap [鈥听禄 (Simenon 1980, p. 91).

Il rench茅rit : 芦听cette minute-l脿, pendant laquelle j'essayais le casque devant un miroir, a 茅t茅, je crois bien, ma derni猫re minute de vraie vie aventureuse听禄 (Simenon 1991, p. 119), un sentiment qui s'accentue d猫s que qu'on contr么le son billet. Le pragmatisme de la r茅alit茅 le rattrape alors qu'il croyait partir pour l'aventure听: 芦听Apr猫s avoir fa莽onn茅 l'univers 脿 ma fantaisie, j'allais l'arpenter 脿 coups d'indicateurs, de tarifs, de r猫glement de pourboire. Le r锚ve, je l'avais laiss茅 chez le chapelier de la rue Saint-Ferr茅ol听[鈥听禄 (Simenon 1991, p.听120).听La pente est fatale听: en Afrique, il pensait voir des 茅l茅phants, mais n'en vis aucun, m锚me si 芦听[sa] voiture, en huit jours, a 茅cras茅 des milliers de monticules qui 茅taient autant de bouses d'茅l茅phants sauvages听禄 (Ibid., p. 121). De m锚me, quand il se rend en Laponie quelques mois plus tard, son traineau est tir茅 non pas par des chiens, mais 芦听par une grosse motocyclette am茅ricaine qui p茅taradait comme un dimanche de course sur la place d'une petite ville听禄 (Ibid., p. 122). Et ainsi de suite. Simenon n'en finit plus de raconter sa progressive d茅sillusion, car toujours 芦听l'aventure s'enfuit quand on s'en approche听禄 (Simenon 1991, p. 140) et c'est pourquoi on peut, selon lui, difficilement 茅crire du roman d'aventures apr猫s avoir voyag茅.听

Ainsi, si 芦听l'aventure est morte听禄 (Simenon 1991, p. 107), comme il le dit lui-m锚me, Simenon n'茅crira pas pour autant du 芦听roman sans aventure听禄, pour emprunter l'expression d'Isabelle Daunais. Il se produit plut么t un grand revirement dans sa conception du roman听; une illumination qui lui fait comprendre que la v茅ritable aventure est dans l'homme, 脿 m锚me celui-ci. Et c'est la seule aventure qui soit digne d'锚tre racont茅e. Elle se situe dans la vie des petites gens, lorsque quelque chose 芦听arrive听禄 ; elle est dans 芦听l'homme tout nu听禄. Cette aventure int茅rioris茅e est, par-dessus tout, au coeur ce qu'il appelle 芦听le roman pur听禄, notion capitale chez Simenon, pourtant tr猫s peu d茅finie听: 芦听Je ne sais pas ce que j'entends par roman pur. Je le sens. Je suis incapable de le d茅finir听禄 (Simenon 1980, p. 68). Mais encore une fois celui qui ne sait rien, sait n茅anmoins quelque chose听:

Le roman 鈥減ur鈥 sera seulement ce que peut 锚tre le roman. Je veux dire qu'il n'aura pas 脿 enseigner ou 脿 jouer un r么le journalistique. Dans un roman pur, vous ne prenez pas soixante pages pour d茅crire le sud de l'Arizona ou un pays de l'Europe. Rien que l'action, avec uniquement ce qui fait partie de cette action. Ma conception actuelle du roman est presque une transposition des r猫gles de la trag茅die dans la forme romanesque. Je crois que le roman est la trag茅die de notre 茅poque (Simenon 1980, p.听120).

Ce que l'on en sait, c'est que c'est un roman qui sera dense et petit, comme le sont d'ailleurs tous les opus de Simenon, car il doit pouvoir se lire d'un seul trait. C'est 脿 la fois un moment de l'histoire du roman, son avenir, son 芒ge d'or et l'id茅al esth茅tique tr猫s personnel de Simenon. C'est un roman purifi茅 qui ne rev锚t plus aucun aspect documentaire et qui laisse toute la place 脿 l'homme听:

Son domaine s'est r茅tr茅ci. D'autres moyens d'expression s'occupent, avec plus de bonheur, de pittoresque, de philosophie ou de vulgarisation. Reste la mati猫re vivante, reste l'homme, tout nu ou habill茅, l'homme de partout ou l'homme de quelque part, l'homme et son drame 茅ternel. C'茅tait jadis la mati猫re des trag茅dies. Le roman de demain la remplacera (Simenon 1980, p. 71).

C'est un roman qui met en sc猫ne des personnages qui vont au bout des possibilit茅s humaines, m锚me si ces possibilit茅s sont limit茅es. C'est un roman qui laisse toute la place 脿 l'action m锚me s'il repose sur une grande trame 茅v茅nementielle minimale. Surtout, ce 芦听roman pur听禄 est appel茅 脿 prendre le relais de la trag茅die, dans le rapport entre l'homme et son destin听; c'est la trag茅die de 芦听l'homme tout nu听禄, 脿 qui il faut s'efforcer de donner le poids et la densit茅 d'une sculpture.

Bibliographie

Ouvrages cit茅s

SIMENON, Georges.听Le roman de l'Homme, Lausanne, 脡ditions de l'Aire, 1980.

GIDE, Andr茅 et Georges SIMENON.听Sans trop de pudeur, Paris, Omnibus, 1999.

SIMENON, Georges.听Portrait-souvenir de Balzac et autres textes sur la litt茅rature, Paris, Christian Bourgeois 茅diteur, 1991.

Citations

SIMENON, Georges.听Le roman de l'Homme, Lausanne, 脡ditions de l'Aire, 1980.

芦听Il y a trente-huit ans, presque jour pour jour, j'茅crivais mon premier roman, Au pont des Arches, ce qui n'a pas constitu茅, m锚me 脿 Li猫ge, ma ville natale, un 茅v茅nement litt茅raire. Si j'en parle aujourd'hui, c'est que le roman a 茅t茅 suivi par d'autres, qu'en fait, depuis cette date, je n'ai cess茅 d'锚tre un romancier, ou plut么t, pour employer un terme que je pr茅f猫re, un artisan du roman听禄 (p. 15).

芦听[鈥 j'ai tent茅 de r茅pondre [aux questions entourant le genre du roman], corrigeant, modifiant, parfois changeant de tout en tout mes opinions pr茅c茅dentes, sans jamais parvenir 脿 une th茅orie convaincante et d茅finitive.Mes r茅ponses d'aujourd'hui seront-elles plus heureuses听? Il est probable que je听les amenderai encore mais ce n'est pas une raison pour ne pas tenter de leur donner une forme provisoire听禄 (p. 15).

芦听Pendant des mill茅naires, des hommes ont fait la cha卯ne, g茅n茅ration apr猫s g茅n茅ration, pour composer un des plus beaux romans, le plus beau du monde peut-锚tre, l'Ancien Testament听禄 (p. 17).

芦听Je vais, par la suite, employer souvent le mot roman, d'abord parce qu'il est dans mon titre, ensuite parce que je suis romancier et [鈥 c'est en romancier que je parle, enfin et surtout par commodit茅. Le mot 芦听fiction听禄, tel que les anglo-saxons l'ont adopt茅 dans le domaine de l'茅dition et de la librairie serait plus exact.
Peut-锚tre m锚me m'arrivera-t-il d'englober sous le nom de roman toutes les oeuvres de l'imagination, la po茅sie, le th茅芒tre et la peinture, sans compter les prolongements que de nouvelles techniques ont apport茅 aux autres formes d'art听: le cin茅ma, la radio, la t茅l茅vision听禄 (p. 25).

芦听Peu importe la forme employ茅e, le m茅dium choisi, c'est la fiction que nous retrouvons de la sorte et que le traduis librement par le mot roman听: l'茅vocation d'锚tres humains vivants, devant les autres, un morceau de vie humaine听禄 (p. 28).

[Pourquoi l'茅criture听? Pourquoi le r茅cit]听: 芦听le besoin d'expliquer l'inexplicable et de dissiper la peur听禄 (p. 37).

[En parlant de la Bible]听: 芦听Ainsi l'homme 茅crit-il le roman, non seulement de la terre, mais de l'univers et s'y r茅serve un r么le de choix听禄 (p. 43).

芦听Pourquoi les hommes lisent, pourquoi presque autant qu'ils ont faim de pain, ils ont faim de fiction, c'est-脿-dire du spectacle d'autres hommes en proie aux m锚mes passions, aux m锚mes doutes, aux m锚mes l芒chet茅s et aux m锚mes d茅couragements qu'eux听?听禄 (p. 57).

芦听Ces mythes, que je continue 脿 appeler romans, ont suivi de pr猫s, quand ils ne l'ont pas pr茅c茅d茅, le lent cheminement, au long des si猫cles, de l'animal humain vers un destin qu'il ignore听禄 (p. 57).

芦听Le roman, la fiction, avancent du m锚me pas, sur une route parall猫le. Si, 脿 la cimaise des mus茅es, les derni猫res toiles montrent un 锚tre qui ne cache plus sa faiblesse et son d茅sarroi, qui a abandonn茅 ce qui faisait son prestige pour se laisser surprendre dans sa nudit茅 biologique, le h茅ros de roman ne nous donne-t-il pas souvent l'impression d'un homme 脿 jeun, le matin, non ras茅, devant son miroir听?听禄 (p. 58).

芦听Il est aussi vain et aussi dangereux pour un romancier de parler du roman que pour un peintre d'茅crire sur la peinture. C'est la t芒che des critiques. S'en occupent en outre, et avec quelle diligence, les innombrables 鈥済ens de lettres鈥 [鈥.] (Je n'ai tol茅r茅 qu'on me trait芒t d'hommes de lettres, f没t-ce un employ茅 de la mairie sur un carton d'identit茅 ou le percepteur sur une feuille d'imp么ts)听禄 (p. 67).

芦听脌 mes yeux, le romancier id茅al, c'est Dieu le P猫re [鈥听禄 (p. 68).

芦听[鈥je pense que nous allons vivre, que nous vivons d茅j脿 l'猫re du roman, du roman pur.Je ne sais pas ce que j'entends par roman pur. Je le sens. Je suis incapable de le d茅finir听禄 (p. 68).

芦听Je continue de penser que l'Age du Roman commence, ou plus exactement que le roman est sur le point 鈥 dans dix ans ou dans cinquante 鈥 d'acqu茅rir sa forme d茅finitive, d茅finitive pour quelques lustres, bien entendu, mettons d'acqu茅rir sa forme classique听禄 (p. 68)

芦听Le roman n'est-il pas la forme litt茅raire qui se pr锚te le mieux, ou le moins mal, 脿 l'exportation听?听禄 (p. 69).

芦听脌 son point culminant, une forme d'art, qu'il s'agisse d'architecture, de peinture ou de litt茅rature, a toujours 茅t茅 comme fig茅e (la perfection devant 锚tre immuable) dans des r猫gles 茅troites. [鈥 Ce moment-pointe, le roman ne l'a jamais atteint jusqu'ici. La preuve en est qu'il n'a jamais poss茅d茅 ses r猫gles, qu'il y avait, qu'il y a encore, dix, cent esp猫ces de roman [鈥 Des r猫gles ne commencent-elles pas 脿 s'茅tablir, qui ne sont pas seulement des modes听禄 (p. 70).

芦听Je pr茅tends, 脿 tort ou 脿 raison, que le roman se purifie. Il a cherch茅 sa voie partout. Il a connu des moments glorieux et il s'est 茅gar茅 dans de pittoresque ou de mornes impasses. Il a 茅t茅 鈥溍﹖at civil鈥, 鈥減hilosophique鈥, 鈥渢ranche de vie鈥, 鈥減sychologique鈥. On a cit茅 comme outils du romanciers les pinceaux, le scalpel, le bistouri, que sais-je听? Toute une panoplie. On a m锚me parl茅 de kodak et de cam茅ra听; le roman s'est fait reportage comme nagu猫re il avait voulu 锚tre didactique ou moralisateur.
Pourquoi le roman tout court, le roman pur, ne na卯trait-il pas enfin听?听禄.

芦听Son domaine s'est r茅tr茅ci. D'autres moyens d'expression s'occupent, avec plus de bonheur, de pittoresque, de philosophie ou de vulgarisation. Reste la mati猫re vivante, reste l'homme, tout nu ou habill茅, l'homme de partout ou l'homme de quelque part, l'homme et son drame 茅ternel.
C'茅tait jadis la mati猫re des trag茅dies.Le roman de demain la remplacera [la trag茅die]听禄 (p. 71)

芦 L'Age du roman, du roman total, du roman pur, sommet de l'art litt茅raire 鈥 pour un temps tout au moins 鈥揹e l'art litt茅raire, est-il proche ou lointain encore听?听
Je n'en sais rien.
Mais je suis s没r qu'il viendra 禄 (p. 72)

芦听[鈥 j'ai pens茅 qu'un romancier devait tout naturellement parler du roman. Et j'茅tais persuad茅 que c'茅tait facile. Or, je me suis aper莽u que j'茅tais totalement incapable de vous parler du roman听禄 (p. 76)

芦听Un romancier, voyez-vous, n'est pas n茅cessairement un homme intelligent. Il y en a qui le sont, certes. [鈥 Mais il y en a qui ne le sont pas. Et ceci n'est nullement un paradoxe. Il existe ce que j'appellerais le romancier pur, l'homme qui b芒tit des romans comme d'autres sculptent la pierre ou d'autres peignent des tableaux听[鈥听禄 (p. 76)

芦 Le mot 鈥渙uvrier鈥 me plait d'ailleurs, et nous dirons, si vous le voulez bien, que je ne suis qu'un ouvrier des lettres. Imaginez-vous le ma莽on vous parlant d'architecture听? Il apporte sa pierre. Il la pose, il la scelle. On ne lui demande pas davantage qu'un travail bien fait. Voulez-vous bavarder avec lui sans ennui听? Ne lui parlez ni d'art, ni de politique, ni d'茅conomie, mais de son m茅tier de ma莽on, et je suis persuad茅 que vous ne serez pas d茅莽us听禄 (p. 77)

芦听Il ne faut pas, certes, les mettre sur le terrain des id茅es pures cat alors instantan茅ment ils [les paysans, les menuisiers, etc. perdent toutes leur force, toute leur originalit茅 [鈥
Pourquoi un romancier, je vous le demande, serait-il plus apte qu'un m茅decin de village ou qu'un laboureur au maniement des id茅es听?听禄 (p. 78)

[sur le roman en g茅n茅ral]听: 芦听C'est quoi au fait听? C'est trop vaste pour moi. Et je ne vous dirais que des b锚tises ou des banalit茅s. Quand on est sur l'茅tabli, on ne voit que l'茅tabli, et c'est mon cas. Les autres romanciers听? Je ne les connais pas ou je les connais mal听; il ne m'appartient donc pas de parler d'eux听禄 (p. 78)
鈥 芦听[鈥 je ne vais pas vous parler du roman, comme je vous l'ai annonc茅, pas m锚me des romanciers, mais d'un seul d'entre eux, le seul que je connaisse 脿 peu pr猫s, c'est-脿-dire que je vais vous parler de moi.
Je voudrais que vous compreniez que ce n'est pas par orgueil, mais au contraire par modestie, parce que je ne me sens pas qualifi茅 pour vous parler d'autre chose听禄 (p. 79).听

芦听[鈥 ceux-听l脿 [les 茅tudiants qui d茅battent de questions politiques dans les journaux] ne deviendront pas romanciers. Ce qui caract茅rise le futur romancier, je crois, c'est son besoin instinctif de recr茅er des 锚tres, ou, si vous pr茅f茅rez un terme plus pr茅tentieux, de brasser de la p芒te humaine. Aussi est-il rarement un mod猫le de bonne conduite. Pour cr茅er de la vie, ne faut-il pas en absorber par tous les pores听? Pour manier les hommes, pour reconstituer des hommes, ne faut-il pas s'锚tre beaucoup frott茅 脿 eux听? D'o霉 presque n茅cessairement, une terrible faim, un terrible app茅tit de vie, de la vie sous toutes ses formes, un besoin de se plonger dans l'humain jusqu'脿 l'茅coeurement听禄 (p. 81)

[sur son entr茅e dans l'茅criture par la porte du journal-reportage]听: 芦听C'est ici, dans cette lourde odeur de plomb fondu et d'encre d'imprimerie, que vient se condenser toute la vie de la ville. De la p芒te humaine, on n'en manque pas, on en brasse 脿 pleine rotative. Car tout est humain dans ce que d茅vore cette machine听; cinquante mille personnes hagardes qui vibrent 脿 un match de boxe ou 脿 un meeting politique听; l'accident d'auto ou de tramway qui transforme le cours de plusieurs existences, le drame sanglant qui bouleverse des familles [鈥听禄 (p. 82).听

芦听J'aurais manqu茅 脿 toutes les traditions, vous vous en rendez compte, si je n'avais manifest茅 un souverain m茅pris pour ma petite ville et si je n'avais d茅cid茅 que Paris, seul, 茅tait digne de m'accueillir. Manger de la vache 脿 Paris, Montmartre de pr茅f茅rence, c'est aussi indispensable 脿 un futur romancier que le petit journal du coll猫ge [鈥
J'ai donc gagn茅 Paris et j'y ai habit茅 une chambre d'h么tel sous les toits, une chambre qui n'茅tait qu'une mansarde o霉 je me cognais la t锚te au plafond quand il m'arrivait de me r茅veiller en sursaut. Je crois que si j'avais eu de l'argent, j'aurais choisi quand m锚me cet endroit sordide, parce qu'il 茅tait dans la tradition, parce que j'aurais pens茅 trahir听la litt茅rature en vivant dans une chambre plus confortable et plus banale禄 (p. 84)

芦听Cet apprentissage-l脿 [celui de raconter des histoires] a dur茅 dix ans et je ne suis pas bien s没r qu'脿 l'heure qu'il est il soit enti猫rement termin茅.听
Raconter des histoires, c'est-脿-dire des vies d'hommes鈥utrement dit, faire vivre des hommes, enfermer autant d'humains que possible dans les deux cents ou les cinq cents pages d'un livre鈥μ (p. 86)

芦听Le romancier parfait devrait 锚tre une sorte de Dieu le P猫re鈥
Cr茅er des hommes鈥orter un monde 脿 bout de bras鈥st-ce qu'un personnage de Balzac, de Dickens, de Poe, de Dosto茂evsky n'est pas aussi r茅el que ceux que vous rencontrez dans la rue听? Est-ce que Mme Bovary ne vous est pas mieux connue que la plus intime de vos amies听?听禄 (p. 87)

芦听[鈥 Colette me disait听:听
- Surtout par de litt茅rature听!
Et elle avait raison.
Raconter une histoire, d'abord, simplement, avec l'application de l'茅b茅niste 脿 son 茅tabli. [鈥 J'茅tais si humble, tout 脿 coup, apr猫s avoir 茅t茅 si orgueilleux, que je choisis, pour leur raconter mes histoires, les gens les plus simples听禄 (p. 87)

[Sur le roman populaire]听: 芦听Un matin, j'achetai dans les kiosques tout ce que je pus trouver de romans populaires, des livraisons 脿 bon march茅. Il en existait 脿 cette 茅poque un nombre incroyable, et de tous les genres. [鈥 Je d茅couvrais une v茅ritable industrie, avec un nombre consid茅rable de produits bien d茅termin茅s, standardis茅s, comme nous dirions aujourd'hui [鈥.
Cette gamme de produits, j'appris 脿 la fabriquer [鈥.
Je n'en ai plus honte aujourd'hui. Au contraire. Je vous avoue que cette 茅poque est sans doute celle de ma vie dont je me souviens avec le plus de tendresse, sinon de nostalgie. [鈥
J'茅tais un fabricant, un artisan. Comme un artisan, je passais chaque semaine prendre les commandes chez les industriels que sont les 茅diteurs de romans populaires. Comme un artisan aussi, j'en arrivai 脿 calculer mon prix de revient selon le rendement horaire.听
Voyons, me disais-je, je peux, 脿 la machine, 茅crire quatre-vingt pages par jour en travaillant huit heures. Soit trois jours pour un roman d'aventures de dix milles lignes, 脿 quinze francs, six jours pour un roman d'amour de vingt milles lignes 脿 trois milles francs鈥β (p. 87-88)
鈥 芦听Romans d'aventures听? J'ouvrais l'Encyclop茅die Larousse, un peu au petit bonheur. Voici, presque en son centre, la r茅gion des cataractes鈥es Hottentots鈥es pygm茅es鈥ne flore inconnue, des noms qui me chantent aux oreilles [鈥 Le roman est tout trouv茅鈥l s'intitulera Les Nains des Cataractes, car j'imagine aussit么t des Pygm茅s 脿 taille d'enfant gravitant comme des fourmis dans un univers chaotiques qui rappelle la pr茅histoire禄 (p. 89)

芦听Romans d'aventures听? J'ouvrais l'Encyclop茅die Larousse, un peu au petit bonheur. Voici, presque en son centre, la r茅gion des cataractes鈥es Hottentots鈥es pygm茅es鈥ne flore inconnue, des noms qui me chantent aux oreilles [鈥 Le roman est tout trouv茅鈥l s'intitulera Les Nains des Cataractes, car j'imagine aussit么t des Pygm茅s 脿 taille d'enfant gravitant comme des fourmis dans un univers chaotiques qui rappelle la pr茅histoire [...] Je raconte des histoires et je me les raconte 脿 moi-m锚me, comprenez-vous听? Si, demain, l'Asie me tente, j'茅crirai听Le secret des Lamas听ou听Se Ma-Tsien,听Le Sacrificateur, apr猫s quoi j'irai dans le Pacifique, j'irai partout o霉 le Larousse me permet d'aller [鈥.Chaque semaine, 脿 chaque roman nouveau, c'est 脿 un nouveau public que je m'adresse, aujourd'hui aux gar莽ons de quinze ans et demain aux femmes sentimentales鈥鈥 J'ai fait ainsi le tour du monde, sans bouger. Et je vous jure que ce monde-l脿 茅tait beau. Parce qu'il 茅tait artificiel. Parce qu'il 茅tait b芒ti de toutes pi猫ces pour des lecteurs qui n'admettaient pas les d茅sillusions. De temps en temps, dans un chapitre, dans un dialogue, dans une description, je m'essayais 脿 des exercices plus subtils, pour moi seul, comme on fait des gammes, et personne ne s'est aper莽u de ces fausses notes dans mes romans populaires [鈥 J'avais, sans quitter la place des Vosges, parcouru le monde entier 脿 coups d'encyclop茅dies et d'atlas 禄 (p. 90-91).

芦听Eh bien听! ce jour-l脿 [celui o霉 il se rend pour la premi猫re fois en Afrique et s'ach猫te un chapeau pour l'occasion], j'ai compris que c'en 茅tait fini du roman populaire, du roman d'imagination. Devant ma piteuse image, j'ai senti que je franchissais un nouveau cap [鈥听禄 (p. 91)听

芦听J'ai d茅cid茅 de gravir un 茅chelon. [鈥 Apr猫s le roman populaire, je veux essayer le roman semi-litt茅raire听禄 (p. 92).

芦听Il existe, essayai-je d'expliquer, dix genres, vingt genres litt茅raires qui sont comme les divers rayons d'un grand magasin, c'est-脿-dire qui n'existent que comme par une tacite convention entre l'acheteur et le vendeur. [鈥 Au-dessus de tout cela, il existe, il r猫gne le roman pur, l'oeuvre d'art, qui ne doit rien qu'脿 elle-m锚me et qui 茅chappe 脿 toutes les r猫gles de l'茅dition. Je ne me sens pas encore assez m没r pour entrer dans cette cat茅gorie.
Un roman, un vrai roman, ne s'茅crit pas avant la quarantaine, parce qu'il suppose une maturit茅 qu'il est difficile d'acqu茅rir plus t么t. Le romancier est Dieu le P猫re et j'en suis encore tr猫s loin听禄 (p. 93).

[Apr猫s avoir d茅laiss茅 le roman policier]听: 芦听Je me rapprochais de l'homme, de l'homme tout nu, de l'homme en t锚te 脿 t锚te avec son destin qui est, je pense, le ressort supr锚me du roman听禄 (p. 95).

芦听[鈥 ce qui m'a le plus frapp茅 au d茅but de ma carri猫re, c'est l'absence de densit茅, aussi bien chez les 锚tres que dans les objets, dans ce que j'茅crivains听禄 (p. 97).

芦听Et pourtant, le roman c'est cela, et bien d'autres choses encore. Le roman, c'est l'homme, l'homme tout nu, comme je l'ai dit tout 脿 l'heure et l'homme habill茅, l'homme de tous les jours, c'est parfois le terrible drame de l'homme tout nu et l'homme habill茅, entre l'homme 茅ternel et l'homme d'une 茅ducation, d'une caste ou d'un instant du monde, mais c'est surtout le drame de l'Homme aux prises avec son destin听禄 (p. 97)

芦听J'en ai quarante-deux [ans]. [鈥 Mon premier roman听? Je l'茅crirai peut-锚tre 脿 cinquante ans, peut-锚tre plus tard, si Dieu me pr锚te vie. [鈥 j'envie un Goethe et sa verte vieillesse. Il a eu le temps, lui, d'accomplir l'enti猫re trajectoire, de ferme le cercle. Le po猫te peur mourir jeune parce que la po茅sie n'a pas d'芒ge, parce qu'elle est infuse en nous d猫s notre adolescence [鈥. Le roman est une somme que seules des 茅paules puissantes peuvent porter听禄 (p. 98)

芦听On me demande fr茅quemment听:
- Comment trouvez-vous votre sujet听?
Je ne trouve pas de sujet. Je n'en cherche pas. Je pourrais dire, sans exag茅rer, que le sujet ne m'int茅resse pas听禄. (p. 99)

芦听Dans quelques jours, je vais retrouver ma maison canadienne, o霉 j'ai h芒te de m'asseoir 脿 ma table de travail. J'ai une vraie fringale d'茅crire, car il y a des mois que je ne l'ai pas fait et cela me manque autant que sa drogue 脿 un intoxiqu茅听禄 (p. 100).

芦听Dirais-je que je suis en 茅tat de transe听? C'est un bien grand mot et je crains les grands mots autant que les id茅es. Et pourtant鈥oyons鈥e jour baisse鈥'est l'heure la plus favorable鈥es contours des choses s'estompent, un vulgaire coin de rue, l'entr茅e obscure d'une maison, un reflet sur un pav茅 mouill茅. Cela me rappelle dix, cinquante petites villes o霉 j'ai err茅 de m锚me, et voil脿 qu'insensiblement des souvenirs viennent en foule, m'茅meuvent听禄 (p. 100)

芦听Car un personnage de roman, c'est n'importe qui dans la rue, c'est un homme, une femme quelconque. Nous avons tous, tant que nous sommes, tous les instincts de l'humanit茅 en nous. Mais ses instincts, nous en refr茅nons tout au moins une partie, par honn锚tet茅, par prudence, par 茅ducation, parfois simplement parce que nous n'avons pas l'occasion d'agir autrement. Le personnage de roman, lui, ira jusqu'au maximum de lui-m锚me et mon r么le 脿 moi, romancier, est de le mettre dans une situation telle qu'il y soit forc茅听禄 (p. 101)

芦听Et il n'est pas besoin de trouver une histoire. Simplement des hommes, des 锚tres humains, dans leur cadre, leur ambiance. Le petit coup de pouce qui les met en marche鈥
D茅sormais je n'ai plus qu'脿 les laisser vivre. L'histoire, c'est eux qui la feront, sans que je sois capable d'intervenir, car mes personnages, s'ils sont vrais, ont leur logique 脿 eux contre laquelle ma logique d'auteur ne peut rien. Pas de plan. Quelques noms que je vais jeter en rentrant sur un bout de papier, car je n'ai pas la m茅moire des noms. Leur 芒ge, leur num茅ro de t茅l茅phone s'il y a lieu. Ce sont des personnages r茅els et il faut leur accorder une enti猫re r茅alit茅. Puis au mur, pour quelques jours, le plan de la petite ville ou de la contr茅e. Un horaire des chemins de faire, souvent, car on prend le train dans les romans comme dans la vie et il faut prendre de vrais trains 禄. (p. 102)

芦听Il reste une formalit茅, un travail plut么t auquel je vais me livrer avec amour听: nettoyer ma machine 脿 茅crire jusque dans ses plus petits rouages, la huiler, l'orner d'un ruban neuf, la faire belle et rapide comme pour une comp茅tition听禄 (p. 102).

芦听Demain, je m'茅veillerai avant le jour et 脿 jeun, mal d茅barrass茅 des nuages de la nuit, je viendrai 脿 ma table, ou je suis s没r de retrouver mes personnages fid猫les au poste. Deux heures plus tard, il y aura un chapitre d'茅crit, un chapitre de vingt pages tr猫s exactement, car je me suis remont茅 pour vingt pages. C'est une mesure que je connais bien听禄 (p. 102)

芦听Le roman n'est pas seulement un art, encore moins une profession. C'est avant tout une passion qui vous prend enti猫rement, qui vous asservit.
[鈥 Le roman n'est pas que tout cela, il est encore, pour celui qui l'茅crit, une d茅livrance听禄 (p. 103)

芦听Des adjectifs, des adverbes qui ne sont l脿 que pour faire de l'effet. Chaque phrase qui n'est l脿 que pour la phrase, coupez-l脿. Chaque fois que je trouve une chose de ce genre dans mes romans, c'est 脿 couper听禄 (p. 107).

芦听脡crire est consid茅r茅 comme une profession et je ne crois pas que ce soit une profession. Je crois que tous ceux qui n'ont pas besoin d'锚tre 茅crivains, qui pense pouvoir faire autre chose, devraient faire autre chose. 脡crire n'est pas une profession, mais une vocation pour le malheur. Je ne crois pas qu'un artiste puisse jamais 锚tre heureux听禄 (p. 108)

芦听C'est impossible, absolument impossible [que le roman retourne vers l'esth茅tique du XIXe si猫cle], je crois. Parce que nous vivons 脿 une 茅poque o霉 les 茅crivains ne sont pas toujours entour茅s de barri猫re, ils peuvent tenter de pr茅senter les personnages de la mani猫re la plus totale, la plus compl猫te. Vous pouvez montrer l'amour dans une tr猫s jolie histoire听: les dix premiers mois de deux amoureux, comme dans la litt茅rature d'autrefois. Puis vous avez un second genre d'histoire听: ils commencent 脿 s'ennuyer听; c'茅tait la litt茅rature de la fin du si猫cle dernier. Et puis, si vous 锚tes assez libre pour aller plus loin, l'homme a cinquante ans et cherche 脿 refaire sa vie, la femme devient jalouse et vous avez les enfants m锚l茅s 脿 莽a听: c'est la troisi猫me histoire. Nous en sommes 脿 la troisi猫me histoire. Nous ne nous arr锚tons pas 脿 leur mariage, nous ne nous arr锚tons pas quand ils commencent 脿 s'ennuyer, nous allons jusqu'au bout听禄 (p. 110).

芦听Mais l'artiste ne doit pas seulement regarder en lui-m锚me. Il doit aussi regarder 脿 l'int茅rieur des autres avec l'exp茅rience qu'il a de lui-m锚me. Il 茅crit avec sympathie parce qu'il sait que l'autre lui ressemble听禄 (p. 111).

芦听Inconsciemment, j'ai probablement toujours deux ou trois, non pas romans, non pas id茅es de romans, mais th猫mes dans ma t锚te. Je ne pense m锚me jamais qu'ils pourraient me servir pour un roman. Plus exactement, ce sont des choses qui me tracassent. Deux jours avant que je commence 脿 茅crire un roman, je choisis consciemment une de ces id茅es. Mais avant que je la choisisse consciemment, je trouve d'abord une atmosph猫re. Aujourd'hui il y a un peu de soleil ici. Cela pourrait me rappeler tel ou tel printemps, dans quelque petite ville italienne peut-锚tre, ou certain coin de la province fran莽aise ou de l'Arizona [鈥听禄 (p. 113).

芦听[M]es personnages seront tir茅s en partie de gens de gens que j'ai connus et en partie de la pure imagination. C'est un m茅lange des deux听禄 (p. 113)

芦听 [鈥 le d茅but [d'un roman] sera toujours le m锚me听; c'est presque un probl猫me g茅om茅trique听: j'ai tel homme, telle femme, dans tel milieu. Que peut-il leur arriver qui les obligera 脿 aller au bout d'eux-m锚mes听? Voil脿 la question. Ce sera quelque fois un incident tr猫s simple, n'importe quoi qui changera leurs existences. Ensuite j'茅cris mon roman chapitre par chapitre听禄 (p. 113).

芦听[鈥 je prends mon enveloppe, mon annuaire t茅l茅phonique pour les noms et ma carte de la ville 鈥 pour voir exactement o霉 les choses se passent. Et deux jours plus tard, je commence 脿 茅crire. [鈥 Non, non. Je ne sais rien des 茅v茅nements avant de commencer le roman. Sur l'enveloppe, je mets seulement les noms des personnages, leurs 芒ges, leurs familles. Je ne connais absolument rien des 茅v茅nements qui se produiront plus tard听禄 (p. 114).

芦听La veille du premier jour, je sais ce qui se passera dans le premier chapitre, je d茅couvre ce qui vient apr猫s. Quand j'ai commenc茅 un roman, j'茅cris un chapitre chaque jour, sans sauter une journ茅e. Parce qu'il y a une tension, je dois suivre le rythme du roman. Si par exemple, je suis malade pendant quarante-huit heures, je dois d茅truire les chapitres d茅j脿 compos茅es. Et je ne reviens jamais sur ce roman听禄 (p. 114).

[Sur la diff茅rence entre ces deux pratiques romanesques]听: 芦 Quand je faisais un roman commercial, je ne pensais 脿 lui que durant les heures o霉 je l'茅crivais. Mais aujourd'hui, lorsque j'茅cris un roman, je ne vois personne, je ne parle 脿 personne, je ne r茅ponds pas au t茅l茅phone 鈥 je vis exactement comme un moine. Toute la journ茅e, je suis l'un de mes personnages. Je ressens ce qu'il ressent听禄 (p. 115).

芦听[鈥 la plupart de mes romans montrent ce qui arrive autour d'un personnage. Les autres personnages sont toujours vus par lui. C'est donc dans la peau de ce personnage que je dois me mettre. Et apr猫s cinq ou six jours, c'est presque intol茅rable. C'est une des raisons pour lesquelles mes romans sont si courts听; apr猫s onze jours je ne peux鈥'est impossible. Je dois鈥'est physique. Je suis trop fatigu茅听禄 (p. 115).

芦听[鈥 avant de commencer un roman un roman 鈥 ceci vous semblera peut-锚tre absurde mais c'est la v茅rit茅 鈥揼茅n茅ralement quelques jours avant le d茅but d'un roman, je m'arrange pour ne pas avoir de rendez-vous pendant onze jours. Puis j'appelle le m茅decin. Il prend ma tension art茅rielle, me fait un examen g茅n茅ral. Et il me dit 芦听Okay听!听[鈥 Parce qu'il faut que je sois s没r de pouvoir tenir les onze jours suivants听禄 (p. 115).

芦听L'un d'eux [les probl猫mes qui le poussent 脿 茅crire], par exemple, qui me hantera sans doute plus que tout autre, est le probl猫me de la communication entre deux 锚tres. Le fait que nous soyons je ne sais pas combien de millions d'individus et que, pourtant, la communication, la communication totale soit parfaitement impossible entre deux de ces individus est pour moi l'un des plus grands th猫mes tragiques de l'univers. [鈥 C'est un th猫me que j'ai repris je ne sais combien de fois. Mais je sais qu'il reviendra. Il reviendra certainement听禄 (p. 117).

[Lequel de vos romans aimeriez-vous qu'il vous survivre听?]听: 芦听Aucun. Parce que, lorsqu'un roman est termin茅, j'ai le sentiment de ne pas avoir r茅ussi. Je ne suis pas d茅courag茅 mais je me rends compte 鈥 je veux essayer encore听禄 (p. 118).

芦 Je mets tous mes romans sur un pied d'茅galit茅 et pourtant ce sont des degr茅s. Apr猫s un groupe de cinq ou six romans j'ai une sorte de 鈥 je n'aime pas le mot 鈥減rogr猫s鈥 鈥 mais il semble y avoir un progr猫s. Il y a un bond dans la qualit茅 me semble-t-il. Aussi, tous les cinq ou six romans, il y en a un que je pr茅f猫re aux autres听禄 (p. 118).

芦听[鈥 j'ai tent茅 de faire avec la prose, avec le roman, ce qui est fait avec la po茅sie g茅n茅ralement. Je veux dire que j'ai tent茅 d'aller au-del脿 des id茅es concr猫tes et explicables et d'explorer l'homme [鈥听禄 (p. 119).听

芦听Le roman 鈥減ur鈥 sera seulement ce que peut 锚tre le roman. Je veux dire qu'il n'aura pas 脿 enseigner ou 脿 jouer un r么le journalistique. Dans un roman pur, vous ne prenez pas soixante pages pour d茅crire le sud de l'Arizona ou un pays de l'Europe. Rien que l'action, avec uniquement ce qui fait partie de cette action. Ma conception actuelle du roman est presque une transposition des r猫gles de la trag茅die dans la forme romanesque. Je crois que le roman est la trag茅die de notre 茅poque听禄 (p. 120).

芦听[鈥 on ne peut avoir une trag茅die de plus d'une s茅ance. Je crois que le roman pur est trop dense pour que le lecteur puisse s'interrompe au milieu et reprendre le lendemain听禄 (p. 120)

芦听Quand j'allais lui rendre visite, je voyais toujours mes livres couverts de tant notes dans les marges qu'ils 茅taient presque plus des Gide que des Simenon. Je ne le questionnai jamais 脿 leur sujet听; j'茅tais trop timide pour cela. Alors, maintenant, je ne saurai jamais听禄 (p. 121).

芦听Je crois que toute sa vie, Gide a r锚v茅 d'锚tre cr茅ateur plut么t que moraliste, philosophe. J'茅tais exactement son oppos茅 et je crois que c'est cela qui l'int茅ressait听禄 (p. 122).

芦听[鈥 j'emploie presque toujours des mots concrets. J'essaie d'茅viter les mots abstraits ou po茅tiques, 鈥渃r茅puscule鈥 par exemple. C'est tr猫s joli, mais 莽a ne donne rien听禄. (p. 122)

芦听[鈥 je crois que ce les critiques appellent mon 鈥渁tmosph猫re鈥 n'est rien d'autre que l'impressionnisme du peintre adapt茅 脿 la litt茅rature. Mon enfance a eu pour cadre l'茅poque des impressionnistes et j'茅tais toujours dans les mus茅es ou les expositions. J'en ai acquis une certaine sensibilit茅. J'en fus hant茅听禄 (p. 123).

芦听Je suis un artisan听; j'ai besoin听de travailler de mes mains. J'aimerais sculpter mon roman dans un morceau de bois. Mes personnages, j'aimerais les rendre plus lourds, plus tridimensionnels. Et j'aimerais cr茅er un homme dans lequel chacun, en le regardant, trouverait son propre probl猫me听禄 (p. 123).

芦听Mes personnages ont une profession, ont des caract茅ristiques听; on conna卯t leur 芒ge, leur situation de famille et tout. Mais je tente de rendre ces personnages lourds comme une statue, et fr猫re de tous les hommes de la terre听禄 (p. 123)

芦 Il [Gogol] cr茅ait des personnages qui sont comme les gens de tous les jours, mais qui ont, en m锚me temps, ce que j'appelais il y a un instant la troisi猫me dimension que je recherche. Ils ont tous ce rayonnement po茅tique. Chaque personnage a le poids d'une sculpture tant il est lourd et dense 禄 (p. 124)

芦听Je n'茅crirai jamais un gros roman. Mon gros roman est la mosa茂que de tous mes petits romans听禄 (p. 125).

GIDE, Andr茅 et Georges SIMENON.听Sans trop de pudeur, Paris, Omnibus, 1999.
芦听C'est affreusement dangereux parce que je ne suis pas intelligent, que je me m茅fie, que je me garde de l'intelligence et qu'en dehors de mes romans je crois que j'ai tout int茅r锚t 脿 rester dans l'ombre听禄 (p. 28)

芦听Et depuis l'芒ge de dix-huit ans, je sais que je veux 锚tre un jour un romancier complet et je sais que l'oeuvre d'un romancier ne commence pas avant quarante ans au bas mot 鈥 je dis d'un romancier et non d'un po猫te听禄 (p. 29)

芦听Vous verrez que j'茅tais d茅j脿 hant茅 par un probl猫me que je poursuis toujours听: les trois dimensions 鈥 le pass茅, le pr茅sent et l'avenir se nouant 茅troitement dans une seule action 鈥 avec une densit茅 d'atmosph猫re et de vie compl猫te que je n'atteignais pas et que je n'ai pas atteinte encore听禄 (p. 30).

芦听Je vais 茅crire pour vivre, pour apprendre la vie, des romans semi-litt茅raires et j'茅crirai mon premier roman 脿 quarante ans听禄 (p. 31).

芦听Et surtout pour ne pas les avoir observ茅s. J'ai horreur de l'observation. Il faut essayer. Sentir. Avoir box茅, menti, j'allais 茅crire vol茅. Avoir tout fait, non pas 脿 fond, mais assez pour comprendre. Ce qui fait d'ailleurs que je suis m茅diocre, en jardinage comme en 茅quitation, et nul th猫me en latin听禄 (p. 32).

芦听Je voudrais conna卯tre tous les m茅tiers, toutes les vies. [鈥 Je peux vous avouer que c'est mon r锚ve et que c'est ce que j'ai r茅alis茅 en petit听禄 (p. 33).

芦听Il y a un mot qui nous est familier 脿 ma femme et 脿 moi听: 鈥渕e mettre en transe鈥. [鈥 Plus de vie int茅rieure ni ext茅rieur. Rien qu'une vie physique [鈥Une sorte d'abrutissement volontaire, int茅gral. Encore un mot du m茅nage听: l'脡tat de gr芒ce. Y rester co没te que co没te. Si je suis parti sur un air de Bach, il faut qu'on me joue chaque jour 脿 la m锚me heure. Rien ne peut changer dans l'ordonnance des journ茅es. Le moindre impr茅vu risque de flanquer tout par terre禄 (Simenon, Lettre de mi-janvier 1939, p. 34).

芦听Avec l'芒ge j'arriverai sans doute 脿 tenir un mois 鈥 soit un grand roman. Et aussi, 脿 vivre non seulement les deux ou trois 鈥 ou quatre vies des personnages principaux (au d茅but il n'y en avait qu'une) mais celles des moindres comparses听禄 (p. 35).

芦听Apr猫s [l'茅criture], il m'est impossible de changer une page. On ne l'a assez reproch茅. J'aurais voulu moi aussi 锚tre capable de fignoler. Mais comme je ne sais pas comment s'est fait, je sais encore moins comment 莽a peut se r茅parer听禄 (p. 37)

芦听La preuve c'est qu'un roman fini j'oublie jusqu'au nom des personnages et que je n'en garde que quelques visages 鈥 comme le lecteur sans doute听禄 (p. 37)

芦听L'intelligence m'a toujours fait horriblement peur. Il m'arrive de penser que c'est par vengeance que les dieux l'ont donn茅e 脿 l'homme. Je m'en m茅fie, j'essaie de sentir plut么t que de penser听禄 (p. 38)

芦听Je ferais mieux de borner mon ambition 脿 锚tre un arbre 脿 romans听禄 (p. 47)

芦听Je crois fermement, quant 脿 moi, qu'apr猫s la p茅riode aristocratique, puis la p茅riode bourgeoise, il y aurait non pas la p茅riode ouvri猫re que 1936 laissait pr茅voir, mais la p茅riode des petites gens ce qui est fort diff茅rent. [鈥 Au fait tous les gros succ猫s am茅ricains [Faulkner, Dos Passos, etc.] dont vous me parliez un jour ne sont-ils pas des livres sur les petites gens ? Dont je suis et dont je voudrais 茅crire l'茅pop茅e. On verra ce que 莽a donne 禄 (p. 60).

芦听Apr猫s l'hiver pass茅 dans les neiges, 茅t茅 au bord de l'oc茅an, dans le Nouveau-Brunswick. Vie calme. J'ai 茅crit en cinq mois quatre romans et trois nouvelles. Je ne peux d茅cid茅ment pas vivre dans roman. Cela me d茅s茅quilibre. M锚me physiquement. Et surtout cela me donne une d茅courageante sensation de vide et d'inutilit茅. Et les gens qui se figurent que j'茅cris pour gagner ma vie ! Chaque fois que j'ai essay茅 de me reposer, j'ai fris茅 la neurasth茅nie. M锚me un Maigret me soulage听禄 (p. 94).

芦听Je ne cherche au fond que l'homme tout nu. [鈥 si je prends des hommes tr猫s quelconques, c'est que pour moi ils repr茅sentent davantage l'homme qu'un normalien, un g茅n茅ral, un dictateur, un savant, un g茅nie quelconque. Et si mes personnages ratent, c'est que l'homme rate, fatalement. Il rate consciemment ou inconsciemment. C'est 脿 mes yeux, le seul drame听: la disproportion entre ce que l'homme voudrait, pourrait 锚tre, entre ses aspirations entre ce que l'homme voudrait, pourrait 锚tre, entre ses aspirations et ses possibilit茅s听禄 (p. 133).

芦听Mon Dieu! Que je me sens loin de la litt茅rature ou comme la litt茅rature est loin de moi听禄 (p. 134).

芦 J'ai d茅cid茅ment perdu tout contact avec le monde ext茅rieur et particuli猫rement avec celui de la litt茅rature. J'habite une toute petite maison, en pleine solitude, au pied des montagnes, avec seulement des boeufs et des chevaux en libert茅 tout autour. Le cheval est devenu notre moyen ordinaire de locomotion et notre fils, 脿 dix ans, pourrait presque, en Europe, donner une exhibition de cow-boy. Cela me para卯t extravagant, d'ici, qu'il puisse exister des caf茅s litt茅raires, des salles de r茅daction et des anti-chambres d'茅diteurs. Il est vrai que ne les ai jamais fr茅quent茅s. Cette sauvagerie [鈥 n'est pas voulue, mais [鈥 a toujours 茅t茅 habituelle听[鈥禄. (p. 146)

芦听C'est d'ailleurs assez curieux qu'on ne me donne pas au romancier la m锚me latitude qu'au peintre, 脿 qui on permet de faire des oeuvres mineures et des oeuvres majeures, des 茅tudes, des croquis, et aussi de reprendre certains sujets, certains th猫mes. Or, plus j'avance et plus je voudrais travailler en artisan et, comme un peintre, m'essayer 脿 donner de la vie aux sujets les moins importants. Peut-锚tre que chez moi, est-ce une protestation instinctive contra la tendance qui m'irrite 脿 la litt茅rature engag茅e et tout un fatras philosophique dont les hebdomadaires de Paris m'apportent les 茅chos. Cela me donne envie de raconter une histoire, simplement听禄 (p. 156)

芦听Depuis quatre mois que je suis ici, 脿 cent miles de New York, je n'y ai mis les pieds que quelques heures. Ne suis all茅 ni au th茅芒tre ni m锚me au cin茅ma (je n'aime que les cin茅mas de province, o霉 l'on joue n'importe quoi. Davantage pour l'ambiance que pour le film). En fait de cin茅ma, je lis surtout les journaux. Et ma vie est r茅gl茅e comme celle d'un artisan des Temps de Jadis. Je ne connais rien en musique, ne suis m锚me pas de loin le mouvement intellectuel. Il n'y a que l'homme qui m'int茅resse 鈥 m锚me pas ce qu'il pense, mais seulement ses r茅actions, son comportement听禄 (p. 176).
SIMENON, Georges.听Portrait-souvenir de Balzac et autres textes sur la litt茅rature, Paris, Christian Bourgeois 茅diteur, 1991.

芦 Portrait souvenir 禄
芦 Les deux mille trois cents personnages de Balzac, eux, vivent encore, vivront 茅ternellement [鈥 禄 (p. 23)
芦 Il est partout dans ses livres et il n'est nulle part.
On dirait que le monde qu'il a cr茅茅 le d茅passe et l'茅crase [鈥 禄 (p. 25).

芦 L'aventure est morte 禄

[sur l'茅criture] : 芦 Jusqu'alors, je m'茅tais sagement content茅 d'茅crire d'honn锚tes-romans de deux-cents cinquante pages. Soit chaque fois que le mal me prenait, une retraite de douze 脿 quinze jours, une retraite douloureuse, obstin茅e, douze 脿 quinze jours de vie hallucin茅e avec moi-m锚me ou plut么t avec mes personnages 禄 (p. 107).听

L'aventure c'est 芦 la possibilit茅 de r锚ver 脿 quelque chose tandis que, monotone, la vie quotidienne coule goutte 脿 goutte 禄 (p. 115).

芦 Mais n'est-il pas encore plus abominable d'enlever ses illusions, non seulement 脿 un petit enfant, mais 脿 un jeune homme, 脿 un homme, 脿 un vieillard, d'arracher 脿 la m茅nag猫re son panorama de Naples ou au gamin ses chasses au lion ? Ces r锚ves-l脿, 脿 tout prendre, c'est encore ce que nous poss茅dons de plus pr茅cieux 禄 (p. 116).

芦 Depuis cette 茅poque, j'ai voyag茅 presque sans interruption et explor茅 les contr茅es qui servent de cadre 脿 ces romans. Jamais je n'ai connu, comme en les 茅crivant, [ses romans d'aventures] l'ivresse de l'aventure ! 禄 (p. 117).

芦 Ainsi, 脿 cette 茅poque, sans quitter le doux quartier du Marais, le plus traditionnellement bourgeois de Paris, ai-je accompli mon premier tour du monde, poursuivant le chemin sauvage dans la Prairie, 茅vitant de justesse le passage en trombe d'un troupeau de buffle [鈥禄 (p. 119).

芦 Je vous demande pardon de ces na茂vet茅s. En l'occurrence, ce n'est pas la g茅ographie qui a eu tort, c'est moi 禄 (p. 123).

芦 Mon Dieu le Destin, ce sont toutes ces aventures rat茅es, tous les r锚ves 茅cul茅s, c'est la vie 脿 l'envers, quand elle s'est d茅j脿 jou茅e 禄 (p. 153).

芦听Si j'avais 茅t茅 m茅decin听禄

芦听La v茅rit茅, c'est que, m茅decins et romanciers, nous avons les uns et les autres, vis-脿-vis de l'homme, ce que j'appellerai un m锚me angle de prise de vues et que nous cherchons en lui la m锚me petite lueur de v茅rit茅听禄 (p. 169)听

芦听Entretiens avec les m茅decins听禄

芦听Avant d'茅crire un roman, au moment o霉 je dois me mettre dans ce que j'appelle l'茅tat de gr芒ce, je dois en sommes me vider de moi-m锚me, me vider de tout ce qui fait ma personnalit茅 pour 锚tre purement r茅ceptif, c'est-脿-dire pouvoir absorber d'autres personnages, d'autres impressions听禄 (p. 175).

芦听pendant l'茅criture du livre, il s'agit que j'茅crive aussi rapidement que possible en y pensant le moins possible, de fa莽on 脿 laisser travailler au maximum l'inconscient. Au fond, un roman que j'茅crirais consciemment serait probablement tr猫s mauvais. Il ne faut pas que l'intelligence intervienne pendant l'茅criture d'un roman听禄 (p. 175).

芦听Quand mes personnages sont murs et qu'ils n'ont pas encore d'adresse exacte et de num茅ro de t茅l茅phone. Je prends alors des annuaires t茅l茅phoniques, le Littr茅, pour chercher des noms. Je dessine aussi l'appartement de la maison, tr猫s sch茅matiquement, car je dois savoir si les portes s'ouvrent 脿 gauche ou 脿 droite, si le soleil entre par telle fen锚tre ou telle autre. Tout cela est n茅cessaire听; il faut que je puisse 茅voluer dans cette maison comme si j'茅tais chez moi. C'est cela mon plan, et rien d'autre听禄 (p. 177).

芦听Le point de d茅part peut 锚tre un accident d'automobile, une crise cardiaque ou un h茅ritage. Il faut quelque chose qui modifie tout 脿 coup le cours de la vie du personnage. [鈥 Cet incident est un pr茅texte qui r茅v猫le ou qui d茅montre quelque chose de sous-jacent, Nous sautons tout 脿 coup sur un incident ou un accident, une anecdote, pour changer de vie. Ou encore, en r茅alit茅, nous en avons envie depuis l'芒ge de vingt ans, mais nous n'en avons pas le courage禄 (p. 177).

芦听[鈥 j'ai toujours eu au fond une sorte de vertige du clochard. Et je ne suis pas loin de consid茅rer l'茅tat de clochard comme un id茅al. Il est 茅vident que le vrai clochard, c'est un homme plus complet que nous听禄 (p. 178)

[le roman comme rem猫de] : 芦听Quand je ne suis pas bien portant, je dis 脿 mon m茅decin que je ne me sens pas bien, que j'ai telle ou telle chose. Mon m茅decin me r茅pond听: 鈥淨uand commencez-vous 脿 茅crire un roman )鈥 Je lui dit dans huit jours鈥 Il me r茅pond听: 鈥淎lors 莽a va鈥. C'est un peu comme s'il me prescrivait une ordonnance听: 鈥淔aire un roman le plus t么t possible鈥. C'est ma th茅rapeutique, celle qui me convient le mieux听禄 (p. 180).

[sur l'茅criture par l'inconscient]听: 芦听Je passe ma vie 脿 me battre entre l'inconscient et la raison, car je ne crois 脿 mon m茅tier que fait par l'inconscient. Je dois donc ne pas me conna卯tre pour 茅crire des romans. Si je me connaissais trop bien, je ne pourrais plus 茅crire. Il faut que j'ouvre la porte 脿 la raison juste ce qui est n茅cessaire pour la vie sociale. 禄 (p. 188).听

[sur l'茅criture par l'inconscient]听: 芦听J'avais l'impression que c'茅tait une mani猫re d'arriver 脿 une certaine connaissance de l'humanit茅. Mais j'ai 茅t茅 pris de vertige et je me suis dit que si je continuais dans cette voie, je finirais comme Nietzsche ou Lautr茅amont, et alors j'ai d茅cid茅 de faire tr猫s attention, de faire en quelque sorte de la chute contr么l茅e听[鈥听禄 (p. 191).

[Sur l'importance de la profession des personnages]听: 芦听[鈥 je prends des hommes avec leur profession, avec leur entourage, avec leur vraie vie, autour d'eux. Souvent, avant moi, les personnages 茅taient pris en dehors de leur contexte. C'est Balzac qui a commenc茅. Avant, un personnage de roman n'avait pas de profession, ne gagnait pas sa vie. On n'avait pas le droit d'锚tre un personnage de roman 脿 moins d'avoir cinq mille livres de rente. J'essaie aussi d'avoir des r茅flexes, les passions, les gestes de ces personnages qui sortent automatiquement de ces milieux, de ces circonstances听禄 (p. 195).

[Sur l'universalit茅 de son oeuvre]听: 芦听Ce qui compte pour moi, le vrai succ猫s, c'est d'锚tre compris par un homme travaillant dans un kibboutz, c'est ce qui me fait plaisir et n'a rien 脿 voir avec le tirage ni avec les techniques litt茅raires听禄 (p. 196).

芦听D猫s que je commence mon roman, d猫s que je me mets 脿 ma machine 脿 茅crire, l'a茅rophagie dispara卯t听禄 (p. 202).

芦听Je me mets dans la peau d'un personnage que je je connais pas et que je ne conna卯trai qu'au fur et 脿 mesure de l'茅volution de mon roman. Le probl猫me pour moi n'est pas de savoir si je vais pouvoir 茅crire mon roman mais bien de savoir si je vais bien 茅tablir la relation avec mon personnage听禄 (p. 203).

芦听J'ai eu plusieurs vies en une, si vous voulez. J'ai pass茅 mon brevet de capitaine au cabotage, j'茅tais marin, je peux vous conduire en bateau n'importe o霉 [鈥. Apr猫s 莽a, j'ai tenu une ferme, je me suis occup茅 de cent cinquante vaches, je faisais environ cinq cents canards par ans, et j'ai appris 脿 faucher. [鈥 Je sais traire aussi [鈥 Je peux diriger une ferme demain si vous voulez [鈥 Je suis cavalier, 茅videmment, puisque jai fait mon service militaire dans la cavalerie听禄 (p. 210).

芦听Pourquoi 茅crivez-vous听?听禄

芦听Alors qu'en quelque sorte l'茅crivain 茅tudiait l'homme habill茅, n'en sommes-nous pas arriv茅s 脿 l'homme tout nu, 脿 l'homme en proie 脿 lui-m锚me et 脿 ses fant么mes听? On fouille les replis les plus intimes comme, en biologie, on s'efforce d'aller jusqu'au noyau premier de la mati猫re vivante听禄 (p. 228).

芦听Mais n'arrive-t-il pas que, de lire un livre, de voir une pi猫ce de th茅芒tre ou un film, on se sente moins seul et moins mis茅rable听? Et s'il en est ainsi, quel magnifique et effrayant m茅tier est le n么tre听!听禄 (p. 229).听

芦听Il n'y a pas de roman ou de film policier听禄

芦听Et voil脿 que j'entends parler des fameuses r猫gles听! Les r猫gles de quoi听? Je n'en sais rien. Il para卯t qu'il y a des r猫gles, des r猫gles du genre, que les uns veulent voir transgress茅es et que les autres d茅fendent avec acharnement [鈥 D'abord il n'y a pas de roman, ni de film policier. Et il n'y a pas de r猫gles du genre, ni m锚me de formule听禄 (p. 234).

芦听La naissance de Maigret听禄

芦听J'ai maintenant soixante-trois ans, Maigret environ cinquante-deux. Lorsque je l'ai cr茅茅, 脿 vingt-cinq ans, il en avait quarante-cinq. Ainsi a-t-il eu la chance de vieillir beaucoup moins rapidement et sans doute lui gardais-je encore longtemps son 芒ge actuel听禄 (p. 242).听

芦听Ai-je bu un, deux, ou m锚me trois petits geni猫vres color茅s de quelques gouttes de bitter听? Toujours est-il qu'apr猫s une heure, un peu somnolent, je commen莽ais 脿 voir se dessiner la masse puissante et impassible, d'un monsieur qui, me sembla-t-il, ferait un commissaire acceptable. Pendant tout le reste de la journ茅e, j'ajoutai au personnage quelques accessoires听: une pipe, un chapeau melon, un 茅pais par-dessus 脿 vol de velours. Et, comme il r茅gnait un froid humide dans ma barge abandonn茅e, je lui accordai, pour son bureau, un vieux po锚le de fonte听禄 (p. 246).

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