Octave Mirbeau
(1848-1917)
Dossier
Le roman selon Octave Mirbeau
Le roman selon Octave Mirbeau, par Fran莽ois Masse, 31 ao没t 2006 |
---|
芦 D'ailleurs, comment attendre quelque chose de s茅rieux de quelqu'un qui fait des romans? 禄. Ce propos tir茅 de听La 628-E-8, r茅cit des voyages d'Octave Mirbeau 脿 bord de son automobile, r茅sume bien la pens茅e de l'auteur du Journal d'une femme de chambre sur le genre roman ; genre consid茅r茅 comme peu s茅rieux, insuffisant et de plus en plus commun. Bref, une 芦 divinit茅 禄 devenue facile 脿 conqu茅rir, comme l'茅crit Mirbeau dans un article sur Maupassant o霉 il formule le souhait que l'auteur de听Bel ami听s'en tienne davantage 脿 la pratique du conte 鈥 芦 genre charmant et tr猫s fran莽ais 禄 鈥 qu'脿 celle du roman. Comme art, le roman s'av猫re ainsi 芦 un petit moyen 禄, 脿 c么t茅 de la peinture, de la sculpture et de la musique et, dans l'ensemble, une forme inf茅rieure 脿 toute autre type de r茅alisation artistique, voire m锚me de r茅alisation humaine tout court, si l'on pense par exemple 脿 l'automobile qui, selon Mirbeau, est une 芦 oeuvre de l'imagination 禄 bien autrement plus saisissante qu'un 芦 livre de M. Paul Bourget 禄 ! L'auteur du听Disciple听appara卯t d'ailleurs comme une cible de choix aux yeux de Mirbeau qui trouve dans cette oeuvre le c么t茅 le plus n茅faste du Naturalisme ; sa psychologie de laboratoire, ses pr茅tentions 脿 l'exactitude, 脿 la v茅rit茅 scientifique avec, en plus, cette compl猫te absence, chez Bourget, de piti茅 et d'humilit茅 脿 l'茅gard du genre humain. Dans une sc猫ne du听Journal d'une femme de chambre, Mirbeau 茅corche au passage la psychologie 芒pre et mesquine du mondain Bourget, alors que C茅lestine, la jolie servante qui est aussi admiratrice de l'茅crivain, se fait fermer la porte au nez par ce dernier, sous pr茅texte que le ma卯tre ne re莽oit pas chez lui les gens du peuple. Cette propension chez Mirbeau 脿 la critique sociale, 脿 la d茅fense des prol茅taires qui lui fait dire 脿 Jules Huret, dans son 芦 Enqu锚te sur l'茅volution litt茅raire 禄, que le roman de demain sera 芦 socialiste 禄, lui fait chercher dans et par la cr茅ation litt茅raire des 芦 nouvelles formes de piti茅 禄 ; formes qu'il reconna卯t dans l'oeuvre de Goncourt (Mirbeau, 1926, p. 73) dans celle de Tolsto茂 (son 芦 humanit茅 sinc猫re 禄) et qu'il dit avoir tent茅 d'茅laborer lui-m锚me dans听Le Jardin des Supplices听(Mirbeau, 1926, p. 179). Subissant d'un c么t茅 l'influence des naturalistes, Zola, Maupassant, Goncourt et, de l'autre, celle des symbolistes, Paul Hervieu, 脡mile Bergerat, 脡l茅mir Bourges, Mirbeau r茅alise une oeuvre qui m锚le ces deux courants alors qu'en surplomb, planent les figures 茅crasantes de Tolsto茂, de Dosto茂evski, ce 芦 d茅nudeur d'芒mes 禄 (Lettre 脿 Auguste Rodin, 10 ou 12 juillet 1887), et, peut-锚tre, celle de Maupassant auquel Mirbeau voue une admiration pleine de ressentiments. Le Journal d'une femme de chambre s'apparente ainsi 脿 une enqu锚te psychologique quasi 芦 tainienne 禄 (c'est bien le r茅cit d'une ind茅crottable servante portant en province les d茅formations du 芦 milieu 禄 parisien au sein duquel elle servit jadis), en m锚me temps qu'il t茅moigne d'une imagerie typiquement 芦 d茅cadente 禄 (les sc猫nes de f茅tichisme et de grandes d茅b芒cles familiales auraient pu figurer chez Huysmans ou chez Bourges). 脌 noter qu'脿 l'instar de son contemporain Valery Larbaud, Mirbeau souligne vers 1910 l'apport neuf que repr茅sente pour le genre romanesque l'oeuvre de deux 茅crivains au statut pour le moins marginal : Charles-Louis Philippe et Marguerite Audoux. Ouvrages cit茅s :
|
Bibliographie
Ouvrages cit茅s |
---|
Essais, articles et entrevues : R茅ponse 脿 l'enqu锚te de Jules Huret: 芦 M. Octave Mirbeau 禄, dans Jules Huret,听Enqu锚te sur l'茅volution litt茅raire, Paris, Jos茅 Corti, 1999. 芦 Le r锚ve 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. 芦 Victor Hugo 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. 芦 Les conteurs 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. 芦 La post茅rit茅 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. 芦 Une nouvelle p茅dagogie 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. 芦 Paul Hervieu 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. 芦 Sur un livre 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. 芦 Edmond de Goncourt 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. 芦 脌 un magistrat 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. 芦 Sur les Acad茅mies 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. 芦 Pr茅face de Marie-Claire 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. 芦 Interview sur le roman 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1900]. 芦 Pr茅face 禄 de听Tout yeux, tout oreilles, de Jules Huret,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1901]. 芦 Pr茅face 禄 de听L'Agonie听de Jean Lombard,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1901]. 芦 Sur les Acad茅mies 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1902]. 芦 Les ma卯tres de la jeunesse. Octave Mirbeau 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1903]. 芦 Au pays des lettres. Chez Octave Mirbeau 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1904]. 芦 脌 L茅on Blum 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1904]. La 628-E-8, Paris, UGE, coll. 芦 Fins de si猫cle 禄, 1977 [1907]. 芦 Interview par Paul Gsell 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1907]. 芦 Les femmes allemandes et M. Paul Bourget 禄 (La 628-E8, chapitre 7),听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1907]. 芦 Pr茅face de Marie-Claire 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1910]. 芦 La derni猫re physionomie d'Octave Mirbeau 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1917]. Correspondance : Correspondance g茅n茅rale I, 茅dit茅e par Pierre Michel, Lausanne, L'脗ge d'homme, 2002. Correspondance g茅n茅rale II, 茅dit茅e par Pierre Michel, Lausanne, L'脗ge d'homme, 2005. |
Citations
R茅ponse 脿 l'enqu锚te de Jules Huret: 芦 M. Octave Mirbeau 禄, dans Jules Huret,听Enqu锚te sur l'茅volution litt茅raire, Paris, Jos茅 Corti, 1999. |
---|
芦 Ce que je trouve admirable dans la litt茅rature, c'est justement de pouvoir aimer en m锚me temps et Zola qui, en somme, est surtout beau quand il arrive au symbole, et Mallarm茅, et Barr猫s, 脡l茅mir Bourges, Paul Adam, et Paul Hervieu ! 禄 (p. 227.) |
芦 Le r锚ve 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. |
芦 Nous sommes las, rassasi茅s, 茅coeur茅s jusqu'脿 la naus茅e du renseignement, du document, de l'exactitude des romans naturalistes, autant que des farces b锚tes et du fantastique idiot des op茅rettes. Apr猫s avoir acclam茅, comme l'茅volution d茅finitive, cette forme nouvelle de la litt茅rature qui n'茅tait en somme, qu'une litt茅rature d'attitudes et de gestes, une litt茅rature pour myopes, une litt茅rature 脿 la Meissonier [鈥. 禄 (p. 22.) |
芦 Victor Hugo 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. |
芦 Le th茅芒tre, le roman, le po猫me qui s'茅taient faits coterie, redeviennent foule. [鈥 Tout objet fix茅 par lui prend un relief 茅norme. M锚me 脿 distance, quand il d茅crit des pays o霉 il n'est jamais all茅 ; m锚me historiquement, quand il peint les 茅poques lointaines, tout enti猫res couvertes de la poussi猫re du pass茅, les hommes, les villes, les b锚tes, les bois, tout surgit, tout s'anime, tout ressuscite avec un fracas de vie extraordinaire. Peut-锚tre encore plus que dans ses vers, ce trait caract茅ristique est marqu茅 dans sa prose, o霉 le lyrisme de la description d茅coule de la propre intensit茅 de son intuition impitoyable et myst茅rieuse. Il est tellement ouvert aux impressions qui effleurent 脿 peine le commun des esprits dou茅s et vibrants, qu'il trouve cet expression admirable et 茅trange : 鈥渓'oreille voit鈥. Toutes ses facult茅s, en effet, ont l'air d'yeux braqu茅s sur tous les points 脿 la fois. 禄 (p. 75-77) |
芦 Les conteurs 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. |
芦 Je ne vois pas bien ce que l'on gagnerait, en obligeant l'auteur de听Bel ami听脿 n'茅crire d茅sormais que des romans, et je vois tout ce qu'on y perdrait. M. de Maupassant est le ma卯tre du conte ; personne ne lui dispute cette place, au contraire. Chacun s'efforce 脿 le hisser si haut au-dessus de tous les conteurs pass茅s, pr茅sents et futurs, que bient么t on n'apercevra plus de lui que des rayons [鈥. S没r de sa divinit茅, dans le conte, M. de Maupassant ne devra pas se r茅signer facilement 脿 n'锚tre qu'un demi-dieu, dans le roman. Dans le roman, les choses ne se passent pas de la m锚me fa莽on. Il n'est personne qui se puisse vanter d'锚tre un h茅ros unique et absolu. Chacun tient pour quelqu'un. Ceux-ci adorent Zola, ceux-l脿 se sacrifient 脿 Flaubert ; d'autres se prosternent devant Goncourt, d'autres devant Daudet [鈥. Il existe autant de dieux que de romanciers ; je pourrais m锚me dire : que de lecteurs, et pour un esprit sup茅rieur comme l'est celui de M. de Maupassant, ce n'est point chose d茅sirable que d'aspirer 脿 une divinit茅 si banale qu'elle peut-锚tre conquise par tout le monde, aussi bien par M. Ohnet, que par M. Jules Barbey d'Aurevilly, ces deux p么les de la litt茅rature contemporaine. 禄 (p. 87) |
芦 La post茅rit茅 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. |
芦 Les 茅critures changent, le verbe se renouvelle, les 茅coles s'abolissent et font place 脿 d'autres, mais dans les 茅volutions des choses, dans le recommencement incessant des modes, l'homme reste la source immuable et jamais 茅puis茅e des plus nobles 茅tudes, des plus nobles 茅motions de l'artiste. 脌 c么t茅 de l'histoire des faits politiques, des architectures et des costumes, il y a l'histoire des 芒mes, et c'est celle-ci qu'on demande 脿 qui poss猫de une pens茅e et tient une plume. 禄 (p. 104) |
芦 Une nouvelle p茅dagogie 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. |
芦 Tous les critiques qui se respectent un peu pr锚chent de temps 脿 autre cette croisade sainte. Ils nous apprennent que le niveau de la moralit茅 publique et de l'intelligence humaine baisse effroyablement depuis qu'Alexandre Dumas est mort, depuis que le roman qui contient quelque chose a fait dispara卯tre le roman qui ne contenait rien du tout. [鈥 Alexandre Dumas, 脿 d茅faut de psychologie et d'art, a su donner cet 茅blouissement et ce mouvement plus qu'aucun autre, et plus qu'aucun de nos contemporains 脿 succ猫s. Il n'en est pas ainsi du roman o霉 le public exige autre chose qu'une mascarade de pantins, si color茅e soit-elle. 禄 p. (114-116) |
芦 Paul Hervieu 禄,听Les 茅crivains (1884-1894), tome 1, Paris, Flammarion, 1925. |
芦 M. Paul Hervieu ne peint point ce qu'on appelle des milieux ; il n'inventorie pas les salons, les chambres 脿 coucher. Tout ce d茅tail descriptif, il le simplifie, non pas jusqu'脿 l'effacement, mais il l'茅voque d'un mot, avec la pr茅cision et le vague qui conviennent 脿 ces choses de pure ext茅riorit茅. Voyez combien, dans L'Exorcis茅e, les bibelots, les toilettes, les entours, o霉 se complaisent les autres avec joies d'huissier, tiennent peu de place. Voyez combien le sujet lui-m锚me est pour ainsi dire indiff茅rent. Tout le d茅cor, toute l'茅motion est dans les pens茅es, dans les passions, et dans cette intelligence [鈥. Et c'est pourquoi, l脿 o霉 les autres restent si bas, lui monte si haut, dans les r茅gions sereines de l'intellectualit茅.禄 (p. 249-250) |
芦 Sur un livre 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. |
芦 On a dit que l'art d'Oscar Wilde proc茅dait de celui de M. Huysmans. Je n'ai pas du tout cette impression. M锚me dans des sujets qui comportent l'abstraction pure, M. Huysmans ne va jamais au-del脿 de l'ext茅riorit茅 des choses et des 锚tres, qu'il colore et d茅forme, selon l'angle de sa tr猫s particuli猫re mais restreinte vision. Avec autant de pittoresque, et un go没t semblable pour les spectacles artificiels, Oscar Wilde me semble plus sp茅culatif, plus curieux d'intelligence, plus familier avec les id茅es g茅n茅rales. Il manipule avec une plus grande dext茅rit茅 le m茅canisme compliqu茅 des actions et des passions humaines. Par l'acuit茅 de la pens茅e, la hardiesse et l'茅tendue de son observation, il me para卯t plus proche de Baudelaire. Autant que j'en puis juger sur une traduction, ce malheureux gal茅rien est un des plus beaux temp茅raments d'茅crivain que je sache. 禄 (p. 47-48) |
芦 Edmond de Goncourt 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. |
芦 On peut dire de Goncourt qu'on lui doit l'introduction, dans la litt茅rature fran莽aise, de sensibilit茅s nouvelles et, par cons茅quent, de nouvelles formes de piti茅s. Son nom a 茅t茅 une date importante et qui demeurera c茅l猫bre dans les lettres. Comme l'a dit M. 脡mile Zola, il est vraiment le ma卯tre, notre ma卯tre. De lui part, d'une fa莽on victorieuse et d茅finitive, l'affranchissement du livre. 禄 (p. 73) |
芦 脌 un magistrat 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. |
[脌 propos de la saisie du听Jardin des Supplices, 脿 Bruges] : 芦 [鈥 dans ce pays, refuge classique de toutes les pornographies du monde, il est juste qu'on pers茅cute une oeuvre qui n'avait qu'une pr茅tention 鈥 脿 d茅faut d'un art qu'elle e没t voulu plus grand et encore plus s茅v猫re 鈥 celle d'茅voquer des formes de douleur et de piti茅. 禄 (p. 179) |
芦 Sur les Acad茅mies 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. |
芦 Ainsi, voil脿 un 茅crivain, comme M. Charles Louis-Philippe鈥 La M猫re et l'Enfant, la Bonne Madeleine, Bubu de Montparnasse, ce sont vraiment des livres d'une 茅motion nouvelle鈥 Voil脿 qui apporte quelque chose de neuf 脿 la litt茅rature d'aujourd'hui鈥 禄 (p. 238-239) |
芦 Pr茅face de Marie-Claire 禄,听Les 茅crivains (1895-1910), tome 2, Paris, Flammarion, 1926. |
芦 Marie-Claire est une oeuvre d'un grand go没t. Sa simplicit茅, sa v茅rit茅, son 茅l茅gance d'esprit, sa profondeur, sa nouveaut茅 sont impressionnantes. Tout y est 脿 sa place, les choses, les paysages, les gens. Ils sont marqu茅s, dessin茅s d'un trait, du trait qu'il faut pour les rendre vivants et inoubliables. On n'en souhaite jamais un autre, tant celui-ci est juste, pittoresque, color茅, 脿 son plan. Ce qui nous 茅tonne surtout, ce qui nous subjugue, c'est la force de l'action int茅rieure, et c'est toute la lumi猫re douce et chantante qui se l猫ve sur ce livre, comme le soleil sur un beau matin d'茅t茅. Et l'on sent bien souvent passer la phrase des grands 茅crivains : un son que nous n'entendons plus, presque jamais plus, et o霉 notre esprit s'茅merveille. 禄 (p. 261-262) |
芦 Interview sur le roman 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1900]. |
芦 Quelle place y occupe le roman ? 脟a d茅pend du roman. Il n'y a jamais de hi茅rarchie, toute belle oeuvre occupe la premi猫re place, po猫me, livre de philosophie, aussi bien que roman. Bien qu'ennemi des 茅tiquettes, des formules, je ne con莽ois qu'une forme de roman, le r茅aliste, c'est-脿-dire qui exprime toute la vie鈥 Le reste est vain鈥 Les symbolistes ont m茅connu la premi猫re loi, qui est d'exprimer la vie鈥 Ces gens-l脿 ne la voient pas, leurs paysages ont les racines en l'air, ils peignent la mer avec du vermicelle. Ils ont la vie en horreur. Tout l'effort humain doit tendre vers la conqu锚te de la vie. Tous ceux qui s'en 茅cartent, po猫tes, peintres, romanciers, sont condamn茅s 脿 dispara卯tre. 禄 (p. 511) |
芦 Pr茅face 禄 de听Tout yeux, tout oreilles, de Jules Huret,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1901]. |
[脌 propos de Jules Huret] 芦 Il a aussi une vertu peu banale et effrayante. C'est, en quelque sorte, de faire suer aux personnages, m锚me aux grands personnages qu'il a charge de nous montrer, ce qu'il y a en eux de nature secr猫te et cach茅e, de comique intime, d'humanit茅 fonci猫re, pour tout dire. [鈥 Sa fameuse Enqu锚te litt茅raire, sa non moins fameuse Enqu锚te sociale, sont, au point de vue du d茅masquage, du d茅shabillage humain, des oeuvres hors de pair, sans parler des documents tr猫s pr茅cieux qu'elles contiennent, et qui en font des livres de psychologie historique et sociale, des dictionnaires d'humanit茅 indispensables 脿 toutes les biblioth猫ques. 禄 (p. 528-529) |
芦 Pr茅face 禄 de听L'Agonie听de Jean Lombard,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1901]. |
芦 Ce sont de bien tristes conditions litt茅raires que celles o霉 se d茅battent les 茅crivains d'aujourd'hui鈥 Une presse odieusement mercantile qui a transform茅 notre production intellectuelle en objets de r茅clame et qui force le g茅nie pauvre 脿 passer, les mains pleines d'or, 脿 ses comptoirs鈥 une critique indiff茅rente ou encha卯n茅e鈥 un public ignorant qui ne sait vers qui aller et qui, naturellement, instinctivement, va vers tout ce qui est stupide ou abject鈥 [鈥 Et puis, il faut bien le dire, les 茅crivains sont trop nombreux. La m锚l茅e est compacte, dure, 茅go茂ste. On n'y entend pas les cris de douleurs, les appels d茅sesp茅r茅s couverts par le hurlement de tous. 禄 (p. 531-532) |
芦 Sur les Acad茅mies 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1902]. |
芦 Avant les fondations acad茅miques, il y avait toujours des hommes capables d'abn茅gation et de sacrifice, des hommes d茅vou茅s au bien public鈥 [鈥 C'est ainsi que les oeuvres d'Hom猫re, de Mo茂se, des admirables po猫tes arabes 鈥 les plus grands po猫tes du monde 鈥, de Mahomet鈥 d'autres encore et encore d'autres, ont pu traverser des si猫cles et des si猫cles, parvenir jusqu'脿 nous, malgr茅 l'absence d'imprimeries, la raret茅 et l'insuffisance des moyens de transcription, les difficult茅s de toutes sortes, et les pers茅cutions actives, et sans que personne y attach芒t le moindre esprit de lucre, ou la vanit茅 d'une r茅compense honorifique鈥 Il suffisait 脿 l'homme d'锚tre convaincu que l'id茅e expos茅e par un penseur sur la place publique ou dans une r茅union d'amis, que la beaut茅 exprim茅e par un conteur de plein air, pussent 锚tre belles et utiles aux g茅n茅rations futures, pour que la pens茅e, le po猫me ou le conte fussent pieusement recueillis, et transmis de bouche en bouche, de pays en pays, de si猫cle en si猫cle, jusqu'au moment d'锚tre fix茅s par des signes durables, 茅ternels鈥 [鈥 Non seulement les Acad茅mies ne d茅couvrent rien, n'encouragent rien que la m茅diocrit茅 servile, mais elles ont d茅shabitu茅 les hommes de bonne volont茅 de faire, pour elles, ces besognes indispensables鈥 et qu'ils faisaient, autrefois, avant qu'un ministre autoritaire et atteint de gendelettrie chronique, n'e没t eu la malencontreuse et criminelle id茅e de substituer, 脿 l'initiative toujours g茅niale et toujours d茅sint茅ress茅e de l'individu, cette institution, par quoi s'appauvrissent et meurent, peu 脿 peu, l'activit茅 intellectuelle d'un pays, et le g茅nie d'une race. 禄 (p. 536-537) |
芦 Les ma卯tres de la jeunesse. Octave Mirbeau 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1903]. |
芦 Qu'importent les formules d'art et les types litt茅raires, qui se transforment et qu'on transmet de g茅n茅ration en g茅n茅ration, et qui finissent par n'avoir plus rien de commun avec la vie, avec cette vie que Charles Morice voulait exclure de l'art au temps d茅funt du symbolisme ! Est-ce qu'il y a de la composition chez Tolsto茂 et Dosto茂evski ? Dosto茂evski et Tolsto茂, voil脿 les grands r茅volutionnaires de la sensibilit茅 moderne. La Guerre et la Paix et L'Idiot, ce seront les principaux facteurs de notre transformation morale, les plus violents r茅formateurs de notre sensibilit茅. Chez eux, pas de pr茅tentions verbales. Rien que le souci d'exprimer, d'exprimer la passion avec une concision si nerveuse, si aigu毛, que tout notre 锚tre et nos fibres sont travaill茅s, en g茅missent et en souffrent. 禄 (p. 558-559) |
芦 Au pays des lettres. Chez Octave Mirbeau 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1904]. |
芦 L'art social est une chose morte [鈥. Il n'y a en litt茅rature que la vie. La litt茅rature doit 锚tre la peinture de l'锚tre humain, dans ses rapports avec la nature, les moeurs, les lois鈥 Cr茅er des 锚tres vivants, voil脿 qui vous a une port茅e sociale ! Mais le pr锚che, dans le roman ou 脿 la sc猫ne, laisse indiff茅rent spectateurs et lecteurs. 禄 (p. 568) |
芦 脌 L茅on Blum 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1904]. |
脌 propos des romans d'Anna de Noailles: |
La 628-E-8, Paris, UGE, coll. 芦 Fins de si猫cle 禄, 1977 [1907]. |
[Sur l'id茅e d'芦 oeuvre de l'imagination 禄 ]: 芦 Classification vraiment arbitraire et comique, car j'ai toujours pens茅 que les statues, les tableaux, les livres se vendent avec plus d'芒pret茅 encore que les machines ; et les machines m'apparaissent, bien plus que les livres, les statues, les tableaux, des oeuvres de l'imagination. Quand je regarde, quand j'茅coute vivre cet admirable organisme qu'est le moteur de mon automobile, avec ses poumons et son coeur d'acier, son syst猫me vasculaire de caoutchouc et de cuivre, son innervation 茅lectrique, est-ce que je n'ai pas une id茅e autrement 茅mouvante du g茅nie humain, de sa puissance imaginative et cr茅atrice, que si je lis un livre de M. Paul Bourget, ou consid猫re un tableau de M. Detaille, une statue de M. Denys Puech ? 禄 (p. 42) |
芦 Interview par Paul Gsell 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1907]. |
[脌 propos de La 628-E8] |
芦 Les femmes allemandes et M. Paul Bourget 禄 (La 628-E8, chapitre 7),听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1907]. |
芦Bien qu'il y ait, dans ses livres, un fatras m茅lodramatique qui me fatigue quelquefois, et qu'il peigne des moeurs 鈥 les moeurs parisiennes 鈥 qui ne nous sont pas toujours tr猫s famili猫res, Balzac est, de tous [nos] 茅crivains 鈥 de tous les 茅crivains je pense 鈥 celui qui me semble avoir exprim茅 la vie 鈥 non pas seulement individuelle, mais la vie universelle 鈥 avec le plus de v茅rit茅 et le plus de puissance鈥 Goethe me para卯t tout petit, tout menu, 脿 c么t茅 de ce g茅ant. Certes, son intelligence est incomparable. Mais qu'est l'intelligence de Goethe, aupr猫s de cette intuition prodigieuse, par laquelle Balzac peut recr茅er tout un monde et le monde ? 禄 (p. 588) |
芦 Pr茅face de Marie-Claire 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1910]. |
[脌 propos de Marguerite Audoux] |
芦 La derni猫re physionomie d'Octave Mirbeau 禄,听Combats litt茅raires, 茅dit茅 par Pierre Michel et Jean-Fran莽ois Nivet, Lausanne, L'脗ge d'homme, coll. 芦 Au coeur du monde 禄, 2006 [1917]. |
芦 On dit : 鈥淰ous n'emp锚cherez pas que la vie racont茅e dans un livre soit de la litt茅rature.鈥 Non, il ne suffit pas que la vie soit racont茅e dans un livre pour qu'elle devienne de la litt茅rature. Il faut encore que cette vie ait 茅t茅 pressur茅e, minimis茅e, falsifi茅e dans tous les alambics o霉 l'茅crivain la fait passer : son imagination, sa philosophie, son esth茅tique鈥 et sa sottise ! Lorsque la vie est not茅e au passage, profonde, enti猫re, par un reporter de g茅nie, qui le comprend et ne cherche pas 脿 remplacer ce qu'il n'a pas su voir par un produit de son cerveau, la vie demeure ce qu'elle 茅tait : la vie ! [鈥 Le corps ! Ah ! la ! la !... Un incompris !... Mais c'est un instrument merveilleux, le corps ! La pens茅e, toute seule, combine, cr茅e鈥 Mais il en sort des folies !... bien plus de folies que d'id茅es vraies鈥 Pour choisir entre ces id茅es, surtout ne m茅ditez pas. Ce serait un cercle vicieux鈥 Il suffit de savoir si ces id茅es, vous les sentez, si votre 锚tre entier les agr茅e鈥 Sinon, ce sont des fant么mes鈥 des sottises ! 禄 (p. 604-605) |
Correspondance g茅n茅rale I, 茅dit茅e par Pierre Michel, Lausanne, L'脗ge d'homme, 2002. |
Lettre 脿 Paul Hervieu, 25 juillet 1885. 芦 Avez-vous lu听La Guerre et la Paix听de Tolsto茂 ? Quel admirable livre et quel g茅nie que ce Russe ! J'en suis tout 茅merveill茅. Figurez-vous la vie russe, toute la vie russe, vie civile au pays, vie militaire dans les camps, pendant les campagnes de Napol茅on 1er. Les empereurs, les mar茅chaux, les ministres, les pr锚tres, les grands seigneurs, les gommeux, les jeunes filles, les femmes, les soldats, les officiers, les usuriers, les paysans, les originaux, les francs-ma莽ons, les bourgeois, les fous, les domestiques, les mendiants, les criminels, chaque personnage, si peu important qu'il soit, est vu, rendu, avec une nettet茅, une v茅rit茅, une intelligence, une grandeur v茅ritablement inoubliables. Le cerveau de cet homme est prodigieux, il embrasse toute la vie ; et il n'a pas une minute, une seule minute de d茅faillance. C'est confondant. Oh ! quand on compare Zola, Flaubert, Goncourt, et m锚me Maupassant 脿 Tolsto茂, comme tout cela est petit, 茅troit, gringalet, stupide ! 禄 (p. 411-412) Lettre 脿 F茅licien Rops, 16 octobre 1885. 芦 Vous vous plaignez de la peinture ; et vous enviez la litt茅rature. Oh ! que vous avez tort ! La litt茅rature est bien pauvre d'expression : elle n'est bonne que pour r茅diger les codes, et les projets d'huissier. Hormis cela, 脿 quoi sert-elle ? C'est l'art court par excellence, l'art incomplet, l'art ch芒tr茅. Vous me parlez de votre paysan 脿 la faux. Est-ce avec des mots que vous auriez pu rendre cette id茅e sublime ? 禄 (p. 442) Lettre 脿 Juliette Adam, 2 ao没t 1886. [脌 propos de son roman Le Calvaire]听芦 Les impressions de guerre (qui vont s'affaiblissant par la suite) exercent une influence consid茅rable sur la vie de mon personnage. Elles montrent sous un jour dramatique et tr猫s humain son caract猫re faible, enthousiaste, f茅minin, et le vague de son 芒me, qui est aussi le vague de l'茅poque. Enfin elles reviennent souvent dans le cours de son existence, et le portent 脿 des d茅terminations qui sont n茅cessaires au d茅veloppement de sa psychologie. [鈥 Croyez-vous que Tolsto茂 serait l'homme sublime qu'il est, s'il n'avait pas dit certaines choses, et s'il n'茅tait pas descendu au fond de certains sentiments obscures et redoutables du coeur de l'homme ? Je ne me compare pas 脿 Tolsto茂 鈥 je n'ai pas, certes, cette ambition imb茅cile 鈥 mais je cherche sa sinc茅rit茅 admirable et aussi son grand amour, car mon livre est un cri d'amour et de piti茅 d'un bout 脿 l'autre. C'est la souffrance de l'homme que la nature finit par apaiser. C'est la honte de l'homme que la nature finit par sanctifier. C'est un peu la m锚me th茅orie que Tolsto茂 ; seulement je substitue 脿 la toute-puissance de l'id茅e religieuse et de Tolsto茂 la toute-puissance de la nature. [鈥 Le but d'une oeuvre est d'arriver, par l'intensit茅 de l'茅motion, par la grandeur du but, 脿 un 茅tat d'humanit茅 sinc猫re. Tout est noble et beau de ce qui est vrai et de ce qui est 茅mu ; et la critique, si haineuse et si de parti pris soit-elle, est oblig茅e de s'incliner devant cette chose : l'honn锚tet茅. 禄 (p. 555) Lettre 脿 Paul Bourget, 21 novembre 1886. 芦 Votre lettre m'a fait grand plaisir. Savez-vous pourquoi ? C'est que vous me dites que Le Calvaire est autre chose que de la litt茅rature鈥 鈥 l'aurais-je pu d'ailleurs ? 鈥 Oui, je crois, mais je me suis volontairement 茅loign茅 de tout ce qui pouvait ressembler 脿 une oeuvre compos茅e, combin茅e, 茅crite litt茅rairement. J'ai voulu seulement 茅voquer une douleur, que beaucoup ne comprendront pas, une douleur telle quelle, sans arrangement ni drame. 禄 (p. 618) Lettre 脿 Auguste Rodin, 10 ou 12 juillet 1887. 脌 propos de son roman L'Abb茅 Jules : 芦 En face des choses que je vois, je me sens pris d'un grand d茅couragement. Et puis, je ne sais pas, le peu de facult茅s que j'avais s'en va. Je m'茅tais promis de faire de cet abb茅 une chose originale et forte, mais je n'arrive qu'au vulgaire, au grossier, au banal. Il m'est impossible d'exprimer les id茅es que j'ai, comprenez-vous cela ?鈥 脌 mesure que je veux leur donner une forme, elles m'茅chappent, ou bien se changent en id茅es de tout le monde. Avez-vous lu L'Idiot de Dosto茂evsky ? Quel prodigieux livre ; et comme nous paraissons petits 鈥 m锚me les plus grands 鈥 脿 c么t茅 de ce d茅nudeur d'芒mes ! Cette oeuvre m'a caus茅 une vive impression, plus intense que celles de Baudelaire et de Poe : on est, avec ce merveilleux voyant, en pleine vie morale, et il vous fait d茅couvrir des choses que personne n'avait vues encore, ni not茅es. 禄 (p. 684) Lettre 脿 Paul Hervieu, 20 juillet 1887. 芦 Plus je vais dans la vie et dans la r茅flexion, plus je vois combien est pitoyable et superficielle notre litt茅rature ! Il n'y a rien, rien, que des redites cent fois dites. Goncourt, Zola, Maupassant, tout cela est mis茅rable, au fond, tout cela est b锚te ; il n'y a pas un atome de vie cach茅e 鈥 qui est la seule vraie. Et je ne m'explique pas comment on peut encore les lire, apr猫s les extraordinaires r茅v茅lations de cet art nouveau qui nous vient de Russie. Avez-vous lu L'Idiot ? Quelle oeuvre prodigieuse ! Vous 锚tes de ce sang, vous, mon cher ami ; vous appartenez 脿 cette race. Je retrouvais, dans L'Inconnu, avec votre conception propre, avec votre forme particuli猫re, la m锚me intensit茅 de psychologie que dans le roman de Dosto茂evsky. Ce qui prouve qu'il n'y a pas une fa莽on de voir russe, ou une fa莽on de voir fran莽aise : il y a une fa莽on de voir, c'est tout ! Si vous saviez combien ch茅tif, combien vulgaire, combien grossier me para卯t mon pauvre abb茅 Jules, 脿 c么t茅 de votre fou, 脿 c么t茅 de Muichkine, de Lebedeff et de Rogogine ! J'en ai l'absolu d茅go没t ! Je ne puis pas lui donner une 芒me, une pens茅e, je ne puis que l'affubler de gestes, plus ou moins imb茅ciles. Et je sens qu'il en sera ainsi, toujours, de tous les personnages que je cr茅erai ! 禄 (p. 685-686) |
Correspondance g茅n茅rale II, 茅dit茅e par Pierre Michel, Lausanne, L'脗ge d'homme, 2005. |
Lettre 脿 Paul Hervieu, 6 mars 1889. 芦 Vous m'avez ouvert les yeux sur Le Disciple, et c'est dans le nouvel 茅tat d'esprit o霉 vous m'avez mis, que j'ai lu la troisi猫me livraison du Disciple. C'est en effet extra-mauvais, et d'une pr茅tention irritante. Toujours de mot d'analyse, de d茅doublement. Stendhal qui analysait aussi bien que Bourget, se garde de toujours 茅crire ce mot. On dirait que notre Bourget a peur qu'on ne s'aper莽oive pas 鈥渜u'il analyse鈥. 禄 (p. 48)听 Lettre 脿 Paul Hervieu, 20 avril 1889. 芦 Je me suis remis 脿 peindre ; et cela me procure des joies infinies. La peinture, voyez-vous, c'est bien plus beau que la litt茅rature, et comme c'est plus sain. Et puis les id茅es ont des couleurs ; on les voit, au moins. 禄 (p. 82) Lettre 脿 St茅phane Mallarm茅, 25 avril 1889. [脌 propos de Paul Bourget]听芦 Il n'y a plus que lui, vraiment, et il couvre tout et tous de son ombre. Et que dites-vous de sa psychologie ? 鈥淪es 茅corch茅s litt茅raires, ses creusets, ses scalpels, ses d茅doublements, son Claude Larcher.鈥 Je trouve 莽a bien coll茅gien, bien b锚ta et poseur, prodigieusement. Tant d'instruments de chirurgie, tant de cornues, tant de tabliers de laboratoire, pour aboutir aux pires conventions romanesques ! 禄 (p. 90) Lettre 脿 Claude Monet, septembre 1891. 听芦 [鈥 et puis je suis d茅go没t茅, de plus en plus, de l'inf茅riorit茅 du roman, comme mani猫re d'expression. Tout en le simplifiant, au point de vue romanesque, cela reste toujours une chose tr猫s basse, au fond, tr猫s vulgaire ; et la nature me donne, chaque jour, un d茅go没t plus profond, plus invincible, des petits moyens. D'ailleurs, c'est le dernier que je fais. Je vais me mettre 脿 tenter du th茅芒tre, et puis 脿 r茅aliser, ce qui me tourmente depuis longtemps, une s茅rie de livres d'id茅es pures et de sensations, sans le cadre du roman. 禄 (p. 446-447) Lettre 脿 Jules Huret, 23 octobre 1891. 听芦 Je trouve la litt茅rature de plus en plus ignoble 脿 faire. Et je crois que j'ai trouv茅 la raison de cette ignominie. C'est qu'avec la litt茅rature, il n'y a pas de belle mati猫re 脿 manier, il n'y a pas de main-d'oeuvre. Ce qui ennoblit la peinture, la sculpture, c'est le c么t茅 ouvrier. Je me propose de faire ressortir cela d'une mani猫re 茅clatante dans mon roman鈥 si jamais je l'ach猫ve. 禄 (p. 468) Lettre 脿 L茅on Hennique, 8 ou 9 f茅vrier 1892. 芦 Moi aussi je r锚ve de faire du th茅芒tre. [鈥 Je n'ai plus que le pouvoir de sentir certaines beaut茅s, et j'ai perdu celui de les exprimer. Et c'est inou茂, vraiment, ce qui se passe en moi. 脌 mesure qu'il m'arrive de penser davantage, de voir mieux, de sentir plus fortement, le m茅tier me devient infiniment p茅nible. Une phrase me para卯t quelque chose d'aussi inaccessible, d'aussi d茅mesur茅 que l'Himalaya. Et je m'en tire avec des lieux communs, des d茅clamations qui sonnent le vide, sans pouvoir exprimer ce qu'ai pens茅, vu ou senti ! C'est, je crois bien, une maladie encore inclass茅e et qu'on pourrait appeler une :听apsychie. 禄 (p. 544) |