Solide et tenace Joe Sullivan
(Revue du nouvel album de Joe Sullivan, par Serge Truffaut, Le Devoir)
Il est tenace, Joe Sullivan, très tenace. Trompettiste, compositeur, arrangeur et professeur à ƽÌØÎå²»ÖÐ, il tient à bout de bras comme de pieds — faut bien battre la mesure ! — un grand orchestre, alias big band depuis plus ou moins 20 ans. En Amérique du Nord, cela est rare, extrêmement rare. Depuis peu, Sullivan nous propose un nouvel album intitulé Unfamiliar Surroundings et publié par Perry Lake Records.
En fait d’album, il s’agit d’un double fait uniquement de ses compositions. Ça fait beaucoup, beaucoup de musiques, et c’est tant mieux. Ces dernières sont divisées en trois suites : October Suite, Suite Laurentides ±ð³ÙÌýSuite Montage. Pour bien placer, pour bien préciser ses inclinations esthétiques, Sullivan confie, dans les notes qui accompagnent ce disque, qu’il est un nostalgique des oeuvres signées par ses aînés et qui l’ont convaincu de les imiter.
Les aînés en question, révèle donc notre chef d’une bande regroupant 19 instrumentistes, s’appellent Thad Jones, Quincy Jones, Francy Boland, suivis par les points de suspension, les trois points. Ce qui nous permet d’en ajouter un quatrième, non pas de point, mais de nom propre. Celui de Gerald Wilson, qui fut sur la côte ouest ce que Thad Jones et Mel Lewis furent sur la côte est.
Voilà , c’est bien simple, au troisième morceau du disque 1, soit Let’s Go, nous avons eu l’impression d’avoir été transportés dans le studio RCA Victor de Los Angeles et d’assister à l’enregistrement de pièces composées pour la télévision ou le cinéma des années 60 et début 70 et interprétées par Wilson et sa bande, avec évidemment Shelly Manne à la batterie. En moins de deux, nous nous sommes retrouvés dans l’univers de Henry Mancini, Lalo Schifrin ou Shorty Rogers ; les cadors du genre.
Il n’en fallait pas moins pour que nous soyons conquis. Et ce, du premier morceau du premier album au dernier du deuxième. Car outre les beautés des pièces, il y a l’exécution. Sur ce flanc, on se dit que si, à la bourse des valeurs, on remplaçait la quincaillerie par le doigté, la maîtrise, le juste à temps comme le temps suspendu, l’effet de surprise comme la traduction sonore de l’éclat, alors nos amis figureraient en haut de l’affiche du Dow Jones et compagnie.
De fait, ils méritent qu’on les nomme tous : Donny Kennedy, Rémi Bolduc, Al McLean, André Leroux et Jean Fréchette aux saxophones, Jocelyn Couture, Aaron Doyle, Dave Messing, Jocelyn Lapointe et Joe Sullivan aux trompettes, Gabriel Gagnon, Richard Gagnon, Jean-Nicolas Trottier et Jean-Sébastien Vachon aux trombones et au tuba, Lorne Lofsky à la guitare, et les incontournables André White au piano, Alec Walkington à la contrebasse et Dave Laing à la batterie.
Si vous voulez entendre du big band et voir défiler les images de la fuite de Ben Gazzara ou celles de Steve McQueen pourchassant le méchant dans Bullitt, alors faites une OPA agressive sur Unifamiliar Surroundings. Ça vaut vraiment le coup. À noter que ce double est distribué par Effendi/Naxos.