Les bébés voient la différence entre les langues
Une étude donne des indices sur la façon dont les humains apprennent à communiquer
Une nouvelle étude donne à penser que les bébés ont, dès quatre mois, l’aptitude à différencier l'anglais du français, même sans avoir entendu les mots prononcés.
Mme Athena Vouloumanos, PhD, du DĂ©partement de psychologie de l’UniversitĂ© Ć˝ĚŘÎ岻ÖĐ, a conçu et menĂ© ce travail, en collaboration avec des collègues. L’étude consistait Ă montrer Ă des nourrissons des vidĂ©oclips sans audio de personnes en train de parler anglais ou français. Il s’agissait de dĂ©terminer si des bĂ©bĂ©s de quatre Ă huit mois Ă©taient capables de distinguer visuellement la langue maternelle d’une langue inconnue. Les rĂ©sultats sont publiĂ©s dans le numĂ©ro du 25 mai de la revue Science.
« Nous avons constaté qu’en fait, les nourrissons peuvent distinguer les langues l’une de l’autre », explique Mme Vouloumanos. D’après elle, l’étude démontre que les nourrissons sont bien équipés pour apprendre plus d’une langue, et que le langage visuel suffit à lui seul à leur faire distinguer les langues dès le plus jeune âge. « Il serait intéressant d’examiner si cette capacité a des conséquences dans la vie par la suite, dit-elle. Il n’en demeure pas moins qu’on en sait désormais un peu plus sur la façon dont les humains font l’acquisition du langage. »
Mme Vouloumanos fait également remarquer que cette habitude n’est plus évidente chez les bébés de huit mois qui n’étaient exposés qu’à la langue anglaise dans leur vie de tous les jours, alors que les bilingues (définis, dans le cadre de l’étude, comme ceux qui sont régulièrement exposés aux deux langues officielles du Canada) continuent à distinguer les deux langues l’une de l’autre. Sans savoir exactement pourquoi ce changement se produit, elle a une théorie à ce sujet.
« De nombreux Ă©lĂ©ments circonstanciels donnent Ă penser que des changements perceptuels se produisent dans le dĂ©veloppement d’un enfant entre six et dix mois, quand il commence Ă prendre conscience des propriĂ©tĂ©s perceptuelles du discours dans sa langue maternelle. Nous pensons que pour un bĂ©bĂ© bilingue, il demeure important d’être capable de faire la diffĂ©rence entre les deux langues Ă n’importe quel âge », ajoute Mme Vouloumanos, qui a commencĂ© Ă travailler sur l’étude quand elle Ă©tait candidate au doctorat Ă l’UniversitĂ© de Colombie-Britannique avant de se joindre Ă Ć˝ĚŘÎ岻ÖĐ en 2004.
Elle et ses collègues, Whitney Weikum et Janet Werker de l’Université de Colombie-Britannique, Jordi Navarra de l’Université Oxford et Salvador Soto-Faraco et Núria Sebastián-Gallés de l’Universitat de Barcelona et de l’Institut Catatlà de Recerca, en Espagne, ont fondé leurs constatations sur la tendance naturelle des nourrissons à se lasser d’une présentation visuelle répétitive (habituation), alors que leur intérêt est renouvelé quand on leur montre quelque chose de perçu comme différent (déshabituation).
Chaque épreuve comprenait un vidéoclip montrant quelqu’un en train d’énoncer une phrase différente dans l’une des deux langues. « Le bébé pouvait contrôler la présentation du clip à l’aide de son comportement visuel, explique Mme Vouloumanos. Quand le bébé se lassait et détournait son regard, l’écran s’éteignait. Quand il posait de nouveau son regard sur l’écran, on lui montrait une phrase différente. En fin de compte, le bébé finissait par regarder l’écran de moins en moins. À ce moment-là , on changeait de langue, et s'il détectait ce changement, le même comportement visuel revenait. ».
Sans savoir comment, ni pourquoi, les nourrissons de cet âge sont capables de distinguer une langue de l’autre sans entendre les mots énoncés, les chercheurs suggèrent des possibilités, comme les différents rythmes des langues et la façon dont certains sons particuliers à une langue changent les traits du visage.
« Certains adultes disent se rendre compte qu’une personne parle français parce que sa bouche prend la forme d’un baiser quand elle énonce le son “eu”, qui n’existe pas en anglais, explique Mme Vouloumanos. Cela pourrait expliquer pourquoi les bébés sont sensibles aux propriétés visuelles de la langue parlée. C’est une étape de plus vers la constitution d’un système multimodal symbolique de communication. »